Élevés dans l’utopie de la libération sexuelle, Serj, Yvonne, Héloïse et Xavier nourrissent depuis longtemps une haine tenace envers leurs parents. De retour dans la maison familiale pour les funérailles du père après quinze ans d’exil, les quatre enfants cherchent à faire la paix avec leur passé tout en réapprenant à vivre. Mais dans ce théâtre de débauche, de tromperie et de querelles, les gestes du quotidien comme les débordements du désir semblent orchestrés par un metteur en scène revenu d’outre-tombe pour leur rappeler que le fruit ne tombe jamais bien loin de l’arbre.
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Bien que Falaise soit son quatrième roman, c’est la première fois que je découvre Guy Verville. Le sujet du livre m’a attiré, soit quatre enfants élevés dans l’utopie de la libération sexuelle, qui reviennent à la maison après quinze ans d’absence pour les funérailles de leur père. Chacun découvre qu’il n’est pas facile de faire la paix avec son passé.
Serj, Yvonne, Héloïse et Xavier ont eu des «parents combatifs, jouisseurs, artistes et surtout grotesques».
André et Diane ont élevé ces quatre enfants sans savoir comment les aimer. Ils ont laissé des démons pervers rôder autour, des mensonges s’infiltrer entre les quatre murs et des vérités s’accrocher «dans les placards fermés à clé».
Enfant, Xavier a examiné ses parents par le trou de la serrure; il a trop vu André et Diane «pour les admirer, les comprendre ou les aimer.» Quant aux autres, l’enfance a été un leurre, une mauvaise pensée.
Le testament d’André stipule que ses avoirs ont été placés dans une fiducie. Tous ceux qui prétendent être ses enfants, et qui espèrent obtenir quelque chose, devront passer un test d’ADN. Et l’auteur d’ajouter que «la haine et l’amour forment un chapelet confus d’ADN».
Haine et amour se font constamment écho dans ce roman finement ciselé. L’auteur semble parfois décrire comment un personnage apprend à «homogénéiser son aigreur».
On entend souvent dire que demain est un autre jour, qu’il faut prendre ça «soixante minutes à la fois, et si possible, une shot de gin au quart d’heure!»
Le style de Guy Verville joue sur plusieurs registres: sarcastique, philosophique, poétique, érotique. Il écrit qu’André «préférait voyager, illuminé et guidé par les drogues, titubant sur les aromates du désir en gobant les paroles sinueuses de sirènes saisonnières».
Tel que mentionné plus haut, les enfants ont été élevés à l’époque hippie, à l’ère du peace and love. Le benjamin est un homosexuel bien dans sa peau, toujours prêt à jouir, même avec son frère bisexuel.
Xavier aime raconter ses aventures. Il explique comment, au lieu de faire ça dans les buissons, il aurait pu amener le garçon dans une chambre d’hôtel, «lui faire l’amour en lui promettant qu’ils seraient heureux ensemble toute leur vie. Mais il est plus aisé de vider ses couilles que de désaltérer son cœur.»
Les enfants ont maintenant entre 41 ans et 52 ans. Personne n’est marié. Curieusement, Yvonne et Héloïse rencontrent l’élu de leur cœur lors de ce pénible retour à la maison familiale.
Même si le défunt père semble encore vouloir mettre au pas les survivants, les débordements du cœur échappent à son orchestration d’outre-tombe.
Falaise est un roman de 310 pages sans chapitres, tout au plus des sous-titres à chaque 2, 3, 4 ou 5 pages. Les états d’âme l’emportent le plus souvent sur les rebondissements spectaculaires. Guy Verville s’avère, ici, être un fin psychologue.
Prémisse sombre s’il en est une! Suite à la mort de leur père, deux frères et deux sœurs sont réunis chez leur mère qu’ils n’ont pas vue depuis bientôt quinze ans. Dès le départ, un certain mystère plane sur la cause de cet exil : le père était volage et violent à la fois, mais il semble que le passé cache des eaux encore plus troubles. Grand amant, littéralement, du libertinage propre aux années 60, le père s’était créé un paradis dans lequel les enfants ne se retrouvaient que peu et où l’amour à tout vent cachait une clandestinité parfois glauque.
Serj, Héloïse, Xavier et Yvonne se retrouvent donc en compagnie de leur mère et de sa sœur pour crever un abcès auquel il était plus que temps de s’attaquer. Chacun se présente ainsi avec son lot de secrets et de souvenirs. Xavier qui espionnait les orgies auxquelles participaient ses pa-rents pour mieux contempler le corps des hommes qui le fascinait. Yvonne, aigrie par les occasions manquées et un bonheur qui lui échappe. Héloïse qui semble éprouver une certaine nostalgie pour un passé dont elle n’est pas certaine qu’il ait réellement existé. Serj, médecin légiste, habitué de rechercher la vérité au cœur de chairs anonymes, mais qui pourtant demeure un mur quasi impénétrable, ne laissant rien filtrer quant à ses craintes, ses aspirations et sur qui se porte son désir. Et pourquoi le bureau paternel porte-t-il des scellés ? Avec une telle entrée en matière, on pourrait s’attendre à un ton très sombre, mais l’auteur, Guy Verville, navigue étonnamment bien entre des émotions souvent contradictoires pour évoquer avec brio un tissu de relations complexes et de vérités, grandes et petites. Une très belle découverte !
Pour ton dernier roman, en plongeant dans les premières sections, on note un travail à la hauteur des grandes publications NRF, c’est assuré, pas de doute pour moi. Sans toutefois connaître tes influences littéraires, moi j’y perçois d’entrée de jeu un style qui peut se mesurer aisément à Sylvie Germain, Marie Ndiaye ou bien même Éric Fottorino. Ça, c’est pour le style.
Pour le contenu, c’est-à-dire là où tu veux apporter l’émotion, tant pour nous que pour les personnages, tu réussis à merveille à nous diriger vers des trajectoires insoupçonnées, comme si nous avions tout à apprendre alors que jamais l’être humain ne peut nous être totalement transparent. L’exemple que je vais te donner est plutôt classique, mais bon, pour ma part, seul Zola maîtrise si bien cet art (ses personnages baignent dans un capitalisme sauvage alors que leur humanité demeure intacte). Et cet art se transpose dans ton livre avec les personnages de Diane et ses enfants, puisqu’on ne parvient jamais à la résolution facile de leurs sentiments vis-à-vis leurs parents ; ils conservent leurs impulsions enfantines et égoïstes à l’instar d’une Anne Frank pour ses parents, ou à la manière de l’enfance traitée par Nancy Huston dans Lignes de faille ; or, leur condition d’adultes (pour les personnages de ton livre) les ramène souvent à la réalité en laissant le lecteur dans un suspens agréable ; agréable puisqu’en te lisant, on ressent quelque chose d’extrêmement puissant : on te fait confiance. Et quand cette relation de confiance s’installe naturellement entre le lecteur et l’auteur, la lecture devient justifiée et surtout agréable.
Si j’ai pris du temps avant de partager mes appréciations, c’est pour laisser mûrir en moi toute la question quant au traitement des dialogues ; et, à ce titre, ton roman m’a permis de percer quelques réponses à cet égard. Le dialogue en littérature m’apparaît délicat, puisqu’il ne fait que diriger en surface l’émotion. C’est ce dont je me rends compte en parcourant plusieurs livres au hasard. Comme dans la vraie vie, ce qui sort de notre bouche est sans grande importance, alors que tout se passe dans les émotions ressenties, dans notre tête. Je note que le dialogue en littérature est plus prépondérant peut-être lorsqu’il s’agit d’un traitement analytique entre des personnages, comme en fait usage Amélie Nothomb, par exemple. Mais toujours, lorsqu’il y a beaucoup de dialogues, c’est très délicat dans le construit de la connaissance. Pour ce qui est de la structure de ton roman, j’ai pensé quelque peu à La Dame à la Licorne, de Tracy Chevalier ; toutefois, pour cette dernière, elle traite les dialogues avec plus de parcimonie et concentre davantage l’action dans l’esprit de ses personnages ; même que différents personnages peuvent se répondre les uns après les autres, mais toujours selon la perspective d’un seul (pour cela, on n’a qu’à penser à Jonathan Littell dans son très célèbre Les Bienveillantes. Mais l’exemple de Tracy Chevalier est de loin meilleur). Dans ton roman, avec cette construction de sorte que chacune des sections comporte un titre, par exemple «La mère, les enfants», il aurait été facile d’opter pour cette voie où le dialogue entre les personnages aurait été engendré par l’esprit d’un seul personnage. Enfin, la question est fort complexe. Et si le dialogue est si délicat dans son traitement, c’est parce que l’auteur doit de prime abord, à mon avis, réfléchir en amont sur toute la question épistémologique de son travail, puisque c’est là où il décide, comme je le disais plus haut, du comment il va construire la connaissance. Bref, c’est un très très long sujet qu’on pourrait élaborer plus longuement ensemble!
Je te félicite pour ce dernier bébé ; c’est colossal comme travail, on le sent, et j’admire ce courage de publication, très sincèrement.
(Correspondance personnelle)
(4 étoiles sur 5)
Parfois, il y a des secrets de famille qui devraient rester cachés. Mais bien souvent, mieux vaut crever l’abcès, quitte à remettre plusieurs vies en question. Il s’agit là de la prémisse de Falaise, quatrième roman du Montréalais Guy Verville. Réunis pour les funérailles d’un célèbre père distant et volage, ses enfants confrontent leur mère et ressassent les raisons qui les ont poussés à abandonner le nid familial plus d’une décennie plus tôt, à travers de très courts chapitres centrés sur l’un ou l’autre des membres de la famille. Au menu, la sexualité et l’infidélité omniprésentes des parents, à l’époque, et les blessures qui peinent encore à cicatriser. La tension sexuelle des personnages, habilement ficelée par l’auteur, ne franchit jamais la vulgarité, malgré l’apparente insouciance de chacun et les malaises soulevés qui pourraient être à eux seuls le sujet principal du livre. Si on assiste à une énième quête du père québécois, la profondeur des protagonistes, tout comme leurs faiblesses, leurs décisions et ultimement leur égoïsme constant rendent cette « bande de tarés », pour citer l’un des personnages secondaires, diablement attachants.
J’ai lu ce roman en quelques jours pendant mes vacances (OK, je l’avais commencé un peu avant, ne pouvant plus attendre). Les vacances à la place sont un moment idéal pour bien encaisser cette histoire très bien racontée et très bien ficelée de Guy Verville, mais aussi très troublante.
D’abord, j’avoue que je suis un fan de l’auteur, ayant lu tous ses titres avec le plus grand des plaisirs.
Fin observateur de l’humanité, il cerne ses personnages avec doigté. Ceux-ci sont aussi imparfaits qu’attachants, aussi véritables que menteurs, aussi bons qu’égoïstes. Ils ne sont ni tout à fait blancs, ni tout à fait noirs, mais résolument gris. Cela les rend crédibles.
Le titre Falaise est une belle métaphore pour la chute d’une famille dysfonctionnelle, comme on en connaît tous. Diane, Rose, Héloïse, Serj, Xavier et Philippe cultivent chacun un jardin secret, en plus de partager un secret de famille. Le tout éclate au grand jour après le décès de leur père quand il faut prendre connaissance de son testament. Et même là, on sent que ces révélations ne sont pas entières, la transparence n’est pas totale. On ne connaîtra jamais les sentiments réels que les uns ont envers les autres, surtout ceux des enfants envers leurs parents. Le non-dit est très révélateur dans ce merveilleux texte, car souvent ce qu’on dit n’a pas tant de signification que ce qu’on ressent.
Je recommande cette lecture sans hésitation.