Crudité et poésie
Il aurait peut-être dû paraître plus tôt, au cœur de l’hiver, ce petit livre qui risque de passer inaperçu en ce tardif début d’été. Troisième œuvre de Guy Verville, qui nous avait déjà donné des nouvelles, _Le Putain_ (Éd. Guernica, 1991), et un roman remarquable, _Crever mon fils_ (Éd. Les Herbes rouges, 1993), _La Vie dure_ se présente comme un récit, mais se lit comme un roman. Tout s’y passe en une nuit, alors que la tempête du siècle fait rage dans le ciel et dans les rues de la ville. Un écrivain s’arrête dans un café, scrute les visages, écoute des bribes de conversation, écrit. Des tempêtes intérieures se déchaînent..
La prose de Guy Verville est prenante, poignante, haletante. Ses phrases courtes, au début semblant manquer de fluidité, s’arrêtent, repartent, deviennent un rythme, une pensée. Nous sommes dans la tête d’un homme qui, n’en pouvant plus de souffrir, a décidé de mourir, d’en finir avec l’ennui. Muni d’une arme, il veut profiter de l’anonymat de la tempête sur la montagne. Il a tout préparé, tout prévu, sauf l’instinct de survie de l’animal. « Les bras toujours pointés vers le ciel, il se met à pleurer. Son corps a gagné, lui a fait perdre une précieuse balle et un temps encore plus estimable. Il n’avait pas pensé à la résistance du corps ».
Il y a six histoires, six drames individuels qui se vivent ici, entrecoupés par les déambulations de l’écrivain dans un univers où le réel dépasse la fiction. Un vieillard malade entre dans une librairie, y dérange un libraire rêveur, qui ne pensait pas devoir assister quelqu’un dans sa mort, en pleine tempête. Mais le vieux est étrange, il a beaucoup à lui apprendre, il le laissera changé après son départ. Une femme blessée interrompt un instant leur tête-à-tête, s’enfuit : « Que les gens souffrent, mon Dieu, que les gens souffrent », a dit le vieux..
Ailleurs, dans un salon, une femme fume exagérément. Elle attend la mort de son mari, sa libération. L’agonie n’en finit plus. L’auteur crée un climat d’étouffement, d’attente, d’angoisse. Le temps passe lourdement. Toute la vie n’a plus de sens. Dans une prison, deux hommes s’aiment sans le dire. La femme blessée, violée, hante les rues avant d’aller lécher ses plaies sur la montagne, à son tour.
_La Vie dure_, comme son titre l’indique, n’est pas un conte joyeux. Pourtant, à travers ces histoires d’horreur quotidiennes, que Guy Verville raconte avec crudité et poésie, percent l’espoir, le rêve d’un avenir meilleur, la vie qui perdure après la tempête.
Raymond Bertin |
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1997-05-29
Un admirable hymne à la vie
Dès le début, on plonge dans le désarroi des personnages, dans leurs misères et leurs émotions conflictuelles pour se retrouver chaque fois devant un choix. Vivre ou cesser d’exister. Plutôt que d’entrer dans le mélodrame et de nous y complaire, en guise de conclusion, l’auteur nous fait partager les solutions à chaque problème. Tout passe par l’amour de la vie. On ne se lasse pas de lire ces histoires si poignantes et qui nous ressemblent tant. La Vie dure est un vibrant portrait de gens dans la tempête de l’existence et des émotions. C’est aussi un admirable hymne à la vie.
Roger-Luc Chayer |
RG |
1997-07-01