Je me suis réveillé au milieu de la nuit. De la fenêtre ouverte me parvenait une musique, à peine audible, calme, résolument indienne et hypnotique. Il suffisait de l’écouter, me disais-je, agréablement surpris par la sérénité que cela invoquait.
Je me suis un temps demandé d’où cela provenait, mais j’ai dû rapidement me rendormir. D’autres rêves se sont sûrement succédé sans que j’en aie conscience.
Au matin, en repensant à ce moment, je me suis demandé si je m’étais vraiment réveillé. Peut-être étais-je encore dans un rêve, ou dans ce territoire incertain qu’on traverse parfois sans le savoir et qui ne possède ni nom ni solidité. Ma lecture de la soirée précédente sur la signification du son AUM me revint.
Tout le monde a entendu parler de ce son depuis longtemps gâché par les enseignements d’un nouvel âge sucré et obèse.
À l’origine, c’est un amalgame de trois lettres que l’on prononce jusqu’à ce que la source du souffle se tarisse. Il s’ensuit un silence tout aussi important à ressentir que la caresse des trois lettres. La description suivante est alimentée et inspirée par un collecteur artificiel de connaissance.
Le son A symbolise l’état de veille (_jāgrat_) : l’expérience ordinaire, physique et consciente du monde extérieur.
Le son U, au milieu, représente l’état de rêve (_svapna_) : l’état intermédiaire dans lequel l’esprit est tourné vers l’intérieur, hors des yeux physiques, où l’on est encore actif à travers des images mentales.
Le son M est l’état du sommeil profond (_suṣupti_) : un état de non-dualité, sans rêves ni désir, où la conscience existerait à un niveau subtil et éternel.
Enfin, le silence, le quatrième état de conscience (_turiya_), est associé au vide, en réalité l’expression du Tout insondable, innommable, vers lequel la mort nous attire afin, diront les Anciens, de nous libérer de nos chaînes.
AUM peut être vu non seulement comme un mantra sacré, mais aussi comme un modèle symbolique de l’évolution de la conscience, de l’individuel à l’universel, du fragmenté à l’unité. On peut le lire comme un processus :
A : La conscience tournée vers l’extérieur
Représente l’identification au monde matériel : le corps, les objets, les pensées concrètes.
C’est le moi social, actif, engagé dans le monde, croyant que la réalité est extérieure.
Dans la modernité, cela pourrait représenter l’individu fonctionnel, scientifique ou productif.
C’est le réalisme naïf, l’idée que le monde est “là” indépendamment de nous.
U : Le regard vers l’intérieur
L’être humain commence à remettre en question ce qu’il voit, ce qu’il pense.
On entre dans une conscience réflexive, souvent via l’introspection, l’imaginaire, les rêves, ou la philosophie.
C’est le cheminement intérieur, l’ouverture vers des réalités subtiles, non matérielles.
Cela correspond à l’élargissement de la conscience, à la découverte que la réalité n’est peut-être pas ce qu’elle semble.
M : La dissolution du moi
Le mental, les images, le langage commencent à se taire.
On entre dans une conscience de paix profonde, où il n’y a plus de distinction entre sujet et objet.
Le moi personnel se dissout dans quelque chose de plus vaste.
C’est le pressentiment du soi transcendant, de l’unité de tout ce qui est.
Le Silence : Le pur être, ou l’Absolu
Au-delà de toute expérience, c’est le fondement silencieux de toute conscience.
Non pas un objet qu’on observe, mais ce par quoi toute chose est connue.
Le mental ne peut plus y accéder directement : on ne peut que l’être.
C’est ce que certaines traditions appellent la conscience pure, l’Absolu, Brahman, l’akasha ou encore le champ unifié, en physique contemporaine.
AUM devient alors un processus de désidentification :
Je crois être un individu dans un monde matériel.
Je découvre que ce monde est filtré par mon esprit.
Je perçois que l’esprit lui-même n’est pas moi.
Je repose dans le silence, dans la source de tout.
Était-ce ce que j’ai vécu dans ce rêve parmi mes autres rêves? C’est peut-être trop en demander pour une simple impression nocturne. Je suis fait ainsi, je pose mon regard sur une goutte d’eau et je suis prêt à y voir la rivière, le fleuve et l’océan.
En me réveillant, j’étais à la fois heureux et triste, car l’incertitude de ce qui s’est vraiment passé ramène à cette position vertigineuse sur la corde raide du questionnement. Entre deux vertiges, d’un côté la Connaissance, de l’autre l’Ignorance.
Avant de commencer la rédaction ce ce texte, j’ai voulu illustrer avec l’aide d’une intelligence robotisée. Mon imaginaire semble restreint, ma culture visuelle est étroite. Le rendu ne peut donc être que le fruit de mes limitations. Je fus porté ainsi à vouloir représenter ce qu’un robot ferait de toute cette méditation. Quand je pense à un robot, je le l’imagine surtout dans ce que nous pourrions devenir dans un siècle ou deux, mi-peau, mi-calcul, avec pourtant toute notre âme présumée intacte…
À lire les textes anciens nous décrivant l’origine de la conscience, nous expliquant que l’évocation de cet AUM nous rapproche de la vérité, je persiste à me demander si le tout ne vient pas d’une comète injectant à la planète sa semence cérébrale. En sommes-nous les seuls tributaires ou des légions d’extraterrestres ont-ils acquis les mêmes questionnements et tourments?
Mais me voilà encore à extrapoler une mer de possibles réflexions. Je n’écoute probablement pas assez ce silence, source, semble-t-il, de l’ultime révélation.
Combien de temps me reste-t-il avant qu’un semblant de réponse ne me parvienne?