Toute réalité ne s’exprime pas de la même façon. Je me suis réveillé en colère, non pas qu’il y ait une véritable raison, mais bien à cause d’un rêve qui s’enflamma avant que je n’ouvre les yeux. Une fois la lumière sur mes pensées, je n’avais plus de raison de m’exciter. Ainsi va le temps dans mon cerveau, comme une comète qui effiloche sa glace dans l’espoir d’attirer un soleil.
Je me suis levé, me suis dirigé vers la salle de bain et ai observé la cellophane que j’avais appliquée sur le renvoi d’eau. Depuis quelques jours, des mouches à fruit en sortent, probablement nourries par une quelconque vase dans le tuyau, un sédiment accumulé par mes réguliers brassages de dents, mélange de salive et de pâte, de savon et poils de barbe, terreau fertile à l’éclosion d’ergots.
Encore embrouillé dans ma colère, le portrait silencieux du plastique emprisonnant l’humidité m’a ramené dans les rêves que j’affectionne le plus, ceux qui se dessinent quand j’ai le corps éveillé, les poumons gonflés, le cœur régulier et quotidien, ma peau collée à la pellicule des heures.
Toute la journée ai-je écouté une musique plantante, de la Music for mushrooms : A Soundrack for the Psychedelic Pratictioner comme s’il me fallait demeurer dans un état onirique second ou premier. Rien ne m’a empêché de vaquer à ma journée, de parler à des collègues, d’en rencontrer de nouveaux et de corriger un bogue par-ci, par-là.
Ma vie est bien remplie et très vide à la fois. Je vis dans un état d’extase moribonde et je n’ai le goût que d’inventer des objets célestes à partir d’un plastique sur un lavabo.
Tellement de choses autres se passent dans ma tête en même temps. Tellement et rien.
Je me dois de me coller à cette folie, à cette poésie que j’écoute depuis que je suis en âge d’orgasme. Parfois, je me dis que j’aimerais pouvoir partager éternellement cette intensité avec une personne marchant à mes côtés, probablement un homme jeune, celui qui fait du sport et qui rit parce qu’il va faire un excès, parce qu’il en a la subite pulsion. Je me dis que cet homme n’est que mon souvenir et ma famille intérieure. Je suis suffisamment triste, ou vieux, c’est selon, pour savoir qu’il s’agit à la fois de sagesse et de regrets.
Tellement de choses dans la tête qui se passent de commentaires, mais tout de même si nombreuses quand on fait silence et qu’on écoute. Tellement de matière qui disparaît qu’il n’en vaut pas la peine de corriger vraiment. L’écrire et passer son chemin. S’en faire une comète ou une scorie, la boire et s’y brûler. Y a-t-il vraiment moyen de terminer ce texte sans en détruire la magie de l’instant ?
Il le faut bien. Il se fait tard. Je retourne aux rêves qui me mettront peut-être en colère.