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En amour avec le monde

29 septembre 2019

J’ai terminé la lecture de In Love With the World de Yongey Mingyur Rinpoche, écrit avec Helen Tworkov, une disciple. Ce moine est le fils d’une longue lignée de moines bouddhistes et s’est déjà fait connaître pour d’autres livres que je n’ai pas lus. Son plus récent livre m’a intrigué. Sous le titre, on y lit Le voyage d’un moine à travers les Bardos de la vie et de la mort.

L’histoire est simple, calquée sur celle du Bouddha. Rinpoche, un moine déjà bien établi dans ses fonctions de sage, décide de tout quitter pour parvenir à l’épanouissement. On entre rapidement dans le vif du sujet. Le moine part en catimini, car il sait très bien que personne ne l’aurait laissé partir. Il est un tulku, une réincarnation, et bien que son enseignement fût rigoureux et ascétique, il n’en fut pas moins élevé dans la ouate. Comme Bouddha. Pauvre, il demeure riche, habitué aux fins tissus et à la nourriture irréprochable. Son enseignement est vénéré ; Rinpoche ne se déplace jamais sans son aide de camp. Quitter tout cela pour vivre dans la misère est une folie, pourtant nécessaire selon le moine, afin d’atteindre cette illumination ultime que tous les bouddhistes recherchent.

Le livre est passionnant pour cet aspect. Pour avoir côtoyé des prêtres, mais aussi des étudiants en théologie, j’ai pu sentir le même détachement face au folklore religieux qui entoure toute religion, y compris le bouddhisme. Rinpoche est un intellectuel franc et le lecteur suit les moindres méandres de sa pensée, fort généreuse.

J’avais au préalable lu un livre tout aussi intéressant sur le parallèle entre la psychanalyse et le bouddhisme, comment ces deux façons d’aborder la libération étaient à la fois unies et aux antipodes, prenant chacune une approche opposée pour arriver sans doute au centre de soi.

Le livre de Rinpoche rejoint cette réflexion. L’homme est à la fois imbu de certitudes, mais non dépourvu d’interrogations. L’aventure dans laquelle il s’embarque le met rapidement à l’épreuve et il est fascinant de le lire. On en apprend beaucoup en très peu de pages sur ce qu’est le bouddhisme. Ce livre est donc précieux à cet égard.

Je fus donc emballé pour le premier tiers de ma lecture. Puis, une impatience, parfois une insatisfaction a commencé à surgir. L’homme fait de grandes digressions pour expliquer ceci, cela. On sort souvent de l’aventure en soi, une aventure qui aura duré quatre ans, mais qui ne sera décrite, et je m’en suis aperçu aux deux tiers de la lecture, que pour les trois ou quatre premières semaines du périple.

L’histoire pourrait se résumer ainsi. Après une semaine à se promener d’un train à l’autre, à éprouver quelques malaises, mais à vivre tout de même dans un confort minimal, parce qu’il pouvait encore se payer une chambre et de la nourriture, Rinpoche décide enfin de quitter sa robe de moine, de revêtir celle d’un pauvre et, faute d’argent, de quémander sa nourriture.

Grand mal lui fait, la nourriture qu’il ingère, des restes de restaurant, lui donne la fièvre, la dengue. Pendant deux ou trois longs chapitres, il délire, résiste, se dit qu’il est en Inde et qu’il est en Inde et que c’est normal d’avoir la diarrhée. Mais les choses empirent, la fièvre s’intensifie, il commence à délirer, se voit mourir consciemment, apprend à savourer cette conscience. Ses explications sont à la fois fascinantes et… intellectuelles. L’homme approche rapidement vers la mort, plus rien n’existe, tout existe, les mots s’entrechoquent. Évidemment, sachant que l’auteur est encore vivant et qu’il raconte son aventure, on sait très bien qu’il va s’en sortir… On aimerait donc qu’il aboutisse et qu’il passe à autre chose… Je commence à sauter des pages, ça sent un peu la redite. Toujours bien écrit, certes, mais on n’apprend plus rien. Rinpoche est sauvé par un bon samaritain qui paie les soins à l’hôpital. Le moine y sortira deux jours plus tard, impatient de continuer sa route. Et c’est la fin du livre.

J’ai eu l’impression, en lisant ce livre, de réentendre mes propres questionnements, de côtoyer certaines de mes réflexions-découvertes. Ces dernières n’ont certes pas la profondeur et la finesse de ce qui est écrit dans ce livre, mais tout de même, je suis un peu passé par là même si cela ne me mène pas nécessairement vers quelque part. Un peu comme ce moine ?

Qu’on ne s’y méprenne pas, ce livre est une bonne lecture. Le bouddhisme est un voyage entre la certitude et l’incertain. Il n’est de compréhension que dans l’apprentissage de la conscience de tout et être conscient de tout ne s’explique pas. C’est l’innommable, mais puisque le tout est fortement intellectualisé et raisonné dans ce livre, on en finit par s’abandonner à son manque de savoir. C’est comme pour le Big bang des physiciens. Il n’y a pas de avant le Big bang, il n’y a que l’après. Comprenne qui pourra. Les mathématiques, bien qu’une invention humaine, parlent mieux que nous.

Le livre traite donc, bien sûr, de réincarnation, avec plus de finesse et moins d’ésotérisme auquel on a pu être habitué, mais ce concept m’échappe plus que tout. Je ne comprends pas la mécanique derrière cela. La conscience serait pure, désincarnée, le corps n’étant qu’un passage et la logique de notre expérience consciente nous pousse à croire que l’ego n’est pas et est. Bref, le cul-de-sac et l’épanouissement. L’impermanence est reine. Mais encore ? Puisque la race humaine se multiplie abondamment, comment l’équilibre se fait dans ce qui se transforme puisque rien ne se perd, rien ne se crée ?

Je demeure pour ainsi dire sur ma faim, laissé à moi-même encore une fois. Ma vie quotidienne n’est peut-être pas un abandon, une aventure qu’on pourrait écrire dans un livre. Rinpoche dirait que c’est très bien ainsi. Il suffit de vivre sa vie, d’ent être pleinement conscient seconde après seconde. C’est le seul cadeau que nous avons. Il n’y a pas, semble-t-il, de donateur. Mais le cadeau est là.