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Fourmis

6 janvier 2013

Voilà plus de quatre ans que je rénove, bâtis au-delà de mon budget, dans une sorte de défoulement tranquille et irrégulier. Le résultat est là et, même si je n’en vois pas encore la fin, il me satisfait. Cet appartement prend peu à peu les traits de ma personnalité. J’y découvre une géométrie simple, quelque peu vieillotte, axée sur la matière. Il y a surtout une volonté de hauteur. Je me débarrasse des vieilles moulures, des plâtres encombrants. En ce sens, je suis résolument moderne.

La planification se fait au petit bonheur de l’inspiration, comme si le plan m’échappait, comme si je n’étais, en bout de compte, qu’une fourmi parmi les autres besogneuses. Je me dis souvent que ce que je construis me survivra. J’ai lu, hier sur Facebook, une pensée similaire. Un éditeur disait toujours privilégier le contact tangible d’un livre que son équivalent numérique. Il ajoutait, avec il me semble, un soupçon de tristesse désespérée, vouloir laisser en héritage à son fils tous les livres qu’il aura lus, qu’il aura touchés et qu’il aura savamment empilés dans ses étagères.

Nous accordons une grande importance aux objets, à ce qui ne vit pas, à la manière de ces peuples qui vénéraient leurs momies ou les reliques de leurs ancêtres. À l’inverse, les moines bouddhistes dessinent des mandalas sur le sol avec seulement du riz ou du sable coloré. Une fois la tâche accomplie, ils font quelques incantations, puis détruisent l’œuvre ou la laissent à la merci du vent.

L’Occidental aurait au moins pris une photo en souvenir.

Les traces. Elles importent pour celui ou celle qui les crée. Je sais pourtant que, demain, je pourrais quitter la maison que je suis en train de construire. On m’a déjà raconté l’histoire d’un homme qui, bien qu’il fut marié et père, insistait pour conserver près de la porte une valise, prête à saisir. Son épouse en connaissait le contenu, faisait le ménage autour. L’homme n’a jamais quitté cette dame et je n’arrive pas à me décider sur qui était le plus malheureux, celui qui disait vouloir partir ou celle qui bataillait pour ne rien espérer.

Nos drames, immanquablement, se jouent autour de la projection dans un futur qui n’appartiendra qu’aux autres fourmis, et nous nous appliquons tout de même à la tâche pour eux. Nous obéissons à l’espèce, à l’univers, à nos pulsions gravées dans notre ADN comme l’ont été les vents solaires.

Vrai, il ne faut garder près de soi qu’une valise, celle qui contient les germes de notre devenir. Rire de notre sort avant de poser la prochaine brique.