Je marche toujours en boucle, revenant sans cesse aux mêmes rêves, piétinant le même gravier de mes pieds nus. Le reste de mon corps n’est pas plus vêtu, car je suis nu devant l’incertain, frileux parmi les frileux.
Je ne puis dire si c’est de l’angoisse ou un rêve. La vie, somme toute, va assez bien. En moi pourtant un malaise, un brouillard, une soif. Je pourrais dire qu’il s’agit là d’un inconfort de bourgeois, que si j’étais face à la nécessité, je n’aurais ni le temps ni l’intelligence de retourner chacune des pierres des nombreuses hypothèses qui gravitent autour de mon ensoleillé d’esprit.
Je marche et je cherche et je me sens évidemment poussé comme nous tous vers le point zéro, la singulière singularité, l’endroit de non retour, le centre du néant.
Il y a quelques centaines de milliers d’années, après que les dinosaures se soient complètement asséchés, que les mammifères s’en fussent donné à coeur joie, notre espèce est apparue. Sa conscience, la belle affaire, la poussa vers des sommets inaccessibles. Par une entourloupette de la Nature, mais on ne sait trop comment, elle s’est un jour éveillée ou révélée à Dieu.
Soudain, Adam, Ève se découvrirent nus. La honte, dit-on, se serait emparée d’eux. Je n’en crois rien. Cette histoire est certes un symbole, mais surtout un mensonge, comme tout le reste de ces nombreuses pages accumulées par des fous qui se croyaient plus près de Dieu que ne l’étaient déjà bien avant eux les insectes et les bactéries.
La honte est venue bien après, surtout pour cacher derrière un orgueil gonflé à bloc la peur de connaître et de vouloir. La honte de faire semblant pour pouvoir mieux survivre, la honte de se surprendre à ne pas comprendre la logique derrière nos raisons et nos actes.
La honte aussi de laisser mourir son prochain, car on ne possède pas le pouvoir de vaincre le Destin.
C’est vivre à l’intérieur d’un tourbillon, d’un ADN archétype. On marche ainsi sans savoir où et quand se termine son voyage. La soif d’apprendre ne se dément pas. Notre malaise nourrit notre quête et nous nous entêtons à soupirer d’aise pour chaque plaisir de vivre que les heures nous accordent.
Ainsi sont faites nos existences sans que nous puissions nous entendre sur ce qui vaut la peine d’être vécu. Est-ce la faute à notre ignorance, notre inconscience? On peut comprendre que si Dieu est une invention, celui-ci ne soit fait qu’à notre image, donc imparfait, en évolution et possiblement en voie d’extinction.
S’il existe un dessein écrit dans le ciel, il est encore trop tôt dans nos petites têtes pour en connaître l’auteur. Puisse l’humanité résister au vertige qu’elle éprouve face à ce brouillard. Puisse-t-elle enfin s’ouvrir les yeux et tout entreprendre avec amour et rêverie. Entretemps, il faut bien survivre.