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La dame caillou

14 septembre 2013

Elle bloque le chemin, en prend trop large dans l’escalier mécanique avec sa valise à roulettes et de trop nombreux sacs à porter. Les gens pressés qui déboulent sur la gauche doivent freiner leur élan. Il ne faut pas plus de cinq secondes pour que le flot normal des passagers s’en trouve ralenti, modifié.

Elle ressemble à un gros rocher qui tombe dans une rivière. L’eau proteste, éclabousse l’intrus, mais rien n’y fait. Il a à sa disposition toute la gravité terrestre. La rivière gonfle et prend sur sa gauche ou sur sa droite. Si ce ne sont pas un, mais des amas de roche, une montagne de débris, un arbre savamment abattu par un castor, l’engorgement serait fatal, l’écosystème en prendrait pour son rhume.

La petite et vieille dame est comme ce caillou. Elle possède la gravité du temps. Son pas hésitant perce le magma nerveux des passants et chamboule l’harmonieux chaos des gens urbanisés.

Enfin arrivée à l’étage, la vieille dame hésite, reprend son équilibre et s’engage sur le plancher après avoir failli provoquer la chute d’une grosse dame derrière elle. Mais la voie est libre. Les impatients peuvent récupérer leur élan, tandis que d’autres doivent tout de même composer avec le trajet en diagonale de la dame qui semble perdue, ou peu intéressée à trouver la meilleure des lignes, la droite ou la plus confortable pour son souffle.

Je m’apprête à la contourner, moi aussi. Au dernier moment, elle se décide à changer de direction. Je manque tout près de la bousculer. Elle n’a rien vu, semble avoir trouvé finalement le bon chemin, le sourire aux lèvres, les yeux pourtant ramenés au sol comme si elle y cherchait les pierres laissées par un petit Poucet de sa connaissance.

Un jour, je l’espère, je serai comme elle, à me traîner et à ne plus m’occuper des choses importantes, à rêver tout haut sans devoir m’agripper aux exigences urbaines ou même à un salaire.

Mais pour le moment, j’ai encore bien des choses à prouver, à trouver, à couver, à espérer, à...