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La houle calme des vieux couples

21 décembre 2011

J’ai sorti mon iPad, dans le métro, ai ouvert une application de remue-méninge (mind-mapping) afin d’y jeter les premières bases d’un roman. Le sujet est encore trop vague dans ma petite tête paresseuse, et sans doute trop collée à ma réalité. Puisque mon histoire court toujours, il est difficile, voire dangereux, d’en chercher une conclusion.

Bref, c’est l’angoisse du plan. Il y a beaucoup trop de choses à dire sur l’amour. Beaucoup diront que tout a été dit et ils ont probablement raison. Tout a été complètement décrit avec les mythologies grecques et, depuis ce temps, on tourne en rond. Les chefs d’œuvre littéraires sont autant de beaux carrousels qu’il y a d’histoires kaléidoscopiques vécues. L’axe est cependant le même ; la tragédie humaine (dans son sens noble) ne sera pas délogée de sitôt de son socle. Tout au plus, la première pulsion, qui est celle de procréer, s’est muée chez la race humaine en de multiples métaphores du jeu. La Nature ne s’en offusquera pas (elle ne s’offusque de rien), puisqu’ainsi, elle se réinvente.

Alors, jamais ne semblons-nous nous lasser de raconter les mêmes choses, de vivre les mêmes heures et jours. Un jeune écrivain n’aurait sans doute pas la même vision. Prêt à en découdre avec la nature humaine, il s’empressera de jeter sur le papier autant ses passions que ses mouchoirs humides. Il ne voudra pas lire et écouter ce qui a été pourtant déjà trop dit, et il aura en partie raison de s’aveugler pour mieux recommencer. C’est un peu pour cette raison que je ne lis plus beaucoup, car j’ai toujours le désir de découvrir une métadonnée encore inexplorée.

Je sais qu’une histoire d’amour naît souvent d’un océan devenu trop calme, trop étale. Ce qu’il faut retenir de cette affirmation est l’adverbe « trop ». Je sais aussi que beaucoup se contentent (et probablement toujours avec raison) de vivre leur amour sans trop faire de vagues. J’ai d’ailleurs déjà écrit, en exergue d’un roman, que si les amoureux tranquilles n’avaient rien à dire, c’est qu’ils étaient probablement bouche bée devant leur bonheur vécu.

C’est une belle entourloupette. Je sais que la houle calme des vieux couples existe. Je sais également que plusieurs n’aspirent qu’à cela, à se trouver un compagnon, une compagne, et construire un quai sur un océan vécu ensemble, s’y asseoir et plonger leurs pieds dans une eau étale et bienfaisante. Je sais également que plusieurs, après avoir traversé bien des houles, baissent autant les bras que la volonté. Soit qu’ils se résignent, soit qu’ils comprennent que cela ne sert à rien de combattre.

On en revient toujours à cela : à se contenter d’un bonheur totalement mérité. Les vieux couples, qui en ont donc vu bien d’autres, lèvent de temps en temps les yeux sur des houles plus aventureuses qui déferlent à l’horizon. Quelques-uns iront jusqu’à appeler l’orage, voudront revivre l’aventure de tout redécouvrir. On sait où cela mène. Les mythologies grecques en parlaient déjà.

Et moi, là-dedans ? Je ne sais pas où ma barque me mène. J’ai quelques bonnes adresses, pourrait-on dire, de belles âmes autour de moi. Je traîne moi aussi les pieds sur les bords d’un lac que plusieurs ne voudraient pas, car sans doute un peu plus sauvage que les histoires habituelles. J’aimerais la raconter, mais je dois encore me taire. On ne nomme pas l’insondable dans certaines religions, de peur qu’il n’éclate ou que l’on s’aperçoive que la profondeur tant crainte n’est qu’une vulgaire flaque sur du bitume. Alors, ai-je peur ?

Pause.

Il y a vraiment beaucoup de choses à dire sur l’amour. Comment se fait-il que l’on n’ait vraiment pas tout dit ? C’est là une bien belle énigme.

Je crois que, puisque nous connaissons tous la même fin, il nous faut demeurer honnête, même en amour. Cette dimension de l’existence doit s’inclure dans cette autre, plus grande, de notre réalisation, certes personnelle, mais aussi transpersonnelle. Je crois que, si nous nous répétons sans cesse, c’est que nous oublions sans cesse. L’amnésie est sans doute ce qui nous pousse à vouloir toujours nous recréer. Bien grise sera l’eau des mers quand nos yeux ne rêveront plus.

Mais encore.
Mais encore.
L’écrivain cherche son histoire.