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Les fausses dames

18 août 2013

L’espèce humaine porte une seconde peau depuis environ 30 000 ans. Cette invention du Paléolithique lui a permis, finalement, d’atteindre la Lune et de circuler autour de la planète.

Plus près de nous, avec la montée en force de l’intelligence et de la dérision, sont apparus les fous, les clowns, les écrivains. Le vêtement est non seulement devenu une seconde peau, il est souvent prétexte à l’expression individuelle, à la coloration d’une époque.

Jusqu’à tout récemment, à peine cinquante ans, je propose, cela se déroulait au rythme des fêtes foraines, des rites religieux, des soubresauts d’humeur des rois et des potentats. Il faut voir l’accoutrement des prêtres orthodoxes, des efforts voués chez certaines peuplades à la confection de chapeaux et autres lourds ornements, à plume ou plaqués de métal précieux pour se rendre compte que l’esprit humain s’objectivise à souhait au point, peut-être, d’éloigner sa conscience des réalités grenouillantes inventées par la chimie du cerveau.

Les dames-clowns en sont peut-être aussi un exemple. À part de trouver la chose drôle, par moments, je n’ai jamais été capable d’associer le phénomène à un simple comportement clownesque. Michel Tremblay les a, pour ainsi dire, ennoblies, d’autres en ont tiré de bons films, il n’en demeure que cette exagération de la femme demeure pour moi mystérieuse. Si les psychanalystes et autres chirurgiens de la morale ont leur(s) idée(s), s’il est facile de tout ramener à ces manifestations professionnelles et commerciales, j’y vois, de mon humble côté de gars ordinaire, le courage d’exister, l’appel à une visibilité outrancièrement comique afin de colorer sa modeste présence dans l’échiquier de l’anonymat.

Les causes du déguisement sont multiples, souvent à l’opposé les unes des autres. Il y a là une blessure, ici un beau délire, là-bas une catharsis, ou encore un cul-de-sac existentiel, voire une porte de sortie salvatrice.

Le Carnaval de Rio, pour user d’euphémisme, est certes un exemple parmi tant d’autres. Il y aurait dans un petit village d’Europe un festival particulier où les citoyens se permettent, pendant une semaine (pas une seconde de plus) tous les excès, comme si la normalité était devenue un manteau trop épais pour leurs âmes floridiennes.

Pour en revenir à ces fausses dames qui affichent leurs faux attraits comme d’autres retournent à leur iPhone ou Nexus (ou whatever the name), je demeure quand même perplexe sur le choix, le prétexte à la folie : la femme. Pourquoi les reines-dragues n’optent pas pour les rois-bouffons, pour les testicules-princes ?

La masculinité est-elle une grande honte ou douleur ? Un objectif si difficile à atteindre ? Certains me diront que c’est tout le contraire. On se vêt volontiers de l’inaccessible, on se l’approprie comique pour espérer en toucher l’inépuisable puissance.

Peut-être. Mais je ne crois pas à ce pouvoir de la femme. Ni non plus à celui de l’homme. La transgression demeure. J’ai rencontré, cette semaine, durant le festival Fierté littéraire, un homme qui, le jour, s’appelle Robert, et qui, le soir, s’appelle je ne sais quel prénom féminin. Il vit son altérité de manière étonnante, vêtue simplement, quelques délicates breloques, une sobre perruque, des vêtements qu’une dame mûre, probablement dite de vieille fille, porterait. Pas d’esclandres, une élégance diffuse et sans réelle beauté, mais une affirmation tranquille dans les yeux. Lui/elle ne fait pas plus de bruit que cela, il me semble, ne cherche pas à convaincre, à crier. On devine le combat certain, l’impossibilité d’afficher le jour, outre les weekends et les jours de fête, cette autre manière d’être. L’objectif semble pourtant atteint.

Toute différence fait peur, autant chez autrui que ce qui se meut en soi. C’est ce que je perçois chez les fausses dames. Grand ou petit sujet pour un éventuel roman ? Il y a tant à dire et à penser. L’esprit, le cœur, le corps sont des mutants... et chacun de ces univers, incestueusement reliés, tire les ficelles de notre comportement.

On ne verra sans doute jamais la fin de ce feuilleton burlesque.