Pierre m’a écrit pour me transmettre une photo, me disant que je saurais l’interpréter à sa juste valeur. J’ai été touché de l’attention, car il semblait reconnaitre ainsi ce que j’ai pu lui apporter depuis qu’on se croise, probablement une touche de poésie transcendante dont je me plais souvent à m’enrober. Si j’ai pu semer en lui cette dose d’émerveillement, j’en suis fort heureux.
Je crois que, même sans moi, comme nous tous, il sait apprécier ces instants silencieux bercés de soleil, entourés de la plénitude, voire de la certitude des arbres. Une armée de moustiques était peut-être à ses trousses quand il a pris la photo. L’histoire ne le dit pas.
La beauté du monde est féroce, crue, se laisse interpréter comme d’autres n’hésite pas à se dévêtir pour happer leurs proies.
Je ne sais si, en ce moment, je suis capable de transcendance. Malgré trois jours de congé, malgré le soleil, le beau temps, je demeure chez moi à lire, à dormir, à respirer, étonné par ce corps qui m’entoure de sa réalité bienveillante.
Les jours sont d’une insaisissable science et discipline tanguant à la fois vers la tristesse, la mélancolie que vers le bonheur tranquille. Rien de grave, pas de drame en fait.
Ma lecture du moment, Already Free • Buddhism meets psychotherapy on the path of liberation me fait beaucoup réfléchir. Son auteur, Bruce Tift, est un psychothérapeute qui navigue entre les deux voies de la libération. La première, l’occidentale, tente de réveiller, puis de dissoudre les névroses, les couches protectrices avec lesquelles l’égo s’est enveloppé dans l’enfance et qui nous immobilisent durant notre vie adulte. La deuxième, bouddhiste, cherche à dédramatiser ces combats internes qui n’ont souvent rien à voir avec la réalité du moment. Bref, ce qui était nécessaire durant les premières années de notre vie, ce qui nous a été inculqué afin de nous protéger ne devrait pas tout le temps survivre l’adolescence. Il y a moyen de mieux faire.
Son ouvrage est plus subtil que ce malheureux résumé. La photo de Pierre pourrait l’expliquer autrement. Durant l’enfance, on nous a protégé, on nous a fait craindre les méchants loups et les adultes voraces. La forêt, pour nous, est demeurée une menace et tout au long de notre vie, armés de notre expérience et de nos craintes, nous nous promenons, prisonniers d’une anxiété que nous n’avons souvent pas cherché à réinterpréter. La voie occidentale est utile pour comprendre ce cheminement, mais peu efficace à se défaire des réelles angoisses qui, elles, nous colleront à la peau jusqu’à notre mort.
L’approche bouddhiste vient à ce moment prêter main forte, nous obligeant à reconnaître la tranquille splendeur de notre corps, la solide architecture de notre existence qui est en relation totale, dans le moment présent, avec le reste de l’univers.
Voilà ce que nous rappelle le soleil au-dessus des arbres et des moustiques. Notre quête ne possède ni point de départ ni point d’arrivée. Nous formons un tout avec l’existence, nous en sommes une manifestation originale, chacun de nous, ou tous ensemble sans distinction.
Se promener ainsi dans la forêt, sans crainte, enfin si tout de même un petit peu, les ours, ça existe, se promener tout de même ne met pas du beurre sur notre pain quotidien. La véritable spiritualité, je crois tout comme Tift et Bouddha, n’est pas de renier la réalité, mais d’en faire son temple et de s’y fondre, humble et heureux.
Merci Pierre pour le soleil que tu es.