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S’asseoir là

13 octobre 2019

Un collègue m’a demandé cette semaine comment ça se passait pour moi. J’ai pris le temps de sourire, de le regarder dans les yeux.

« Quand je me couche, j’essaie de me voir là, en face de moi, assis sur un coussin. Et au réveil, j’essaie de voir si je suis encore bel et bien assis à cet endroit. »

L’expression du collègue s’est transformée en une inquiétude et une incompréhension quasi palpables.

« Tu ne me comprends pas, n’est-ce pas ? »

« Non, pas vraiment. »

Moi de lui expliquer que j’apprends à méditer, à respirer calmement, peu importe où je suis ou ce que je fais. Pendant que je parlais, j’ai remarqué qu’il lisait quelque chose à son écran. Je me suis tu. Il a aussitôt porté son regard sur moi.

« Excuse-moi, j’étais ailleurs. »

« J’ai bien vu ça. »

« Je me demande comment tu fais, sincèrement. Moi, je n’y arrive pas, comme tu vois. Je dois faire face à un client, le projet est dans une phase difficile, et… »

Je l’ai laissé continuer. J’étais toujours assis face à lui, me préoccupais de ce qu’il disait et, au même moment, je prenais conscience de ma respiration, de l’état de mon corps, de sa fragile présence dans ce bureau étouffant.

« Je te laisse, tu as visiblement d’autres préoccupations plus importantes. »

Le collègue m’a remercié et je suis parti. Je sais que ça ira, que le projet reviendra sur les rails. Les problèmes éprouvés sont habituels.

À l’extérieur du bureau, j’ai observé mes autres collègues. Certains ont levé la tête, m’ont souri alors que l’esprit des autres s’est projeté sur moi comme si j’étais un mur invisible.

En retournant à mon bureau, je me suis dit que je n’appartenais pas à cet endroit sans pour autant que cela affecte ma volonté de retourner à mes occupations. À force de prendre conscience de ma respiration, mon sentiment d’exil s’en trouve confirmé sans pour autant affecter mes besognes. On pourrait croire que ma personnalité se divise peu à peu, que j’entre dans une phase schizophrénique propre au vieillissement.

Sur mon lit, quand je renoue avec l’exercice de méditation, j’ouvre une application. Nous avons le choix du visuel. Tout l’été, j’ai préféré observer une neige d’hiver avant de fermer les yeux, le temps de la leçon.

Je ne suis plus aussi systématique dans cet exercice, je ne prends pas nécessairement une pause de dix minutes pour écouter les instructions de la guide. Ma discipline semble se déplacer, s’enraciner dans mon quotidien. Cela ne fait pas de moi un sage ni une personne calme. Je crois plutôt entendre l’écho de mon angoisse première. Ma neige tombe doucement avec mes pensées. En suis-je devenu désensibilisé ? Je suis à la fois présent et inconscient, toujours étonné de l’existence, effrayé par l’incompréhension qui m’habite. Mes peurs, ma chair n’ont pas disparu, je ne m’accroche à aucune promesse. C’est à la fois ma souffrance et ma délivrance.

Un peu plus tard dans la semaine, un autre collègue m’a demandé comment je voyais mon avenir au sein de la compagnie. Ce que je déteste cette question. Je lui répondu bêtement, mais avec un sourire, que j’avais soixante ans passés et que j’étais content de vivre ce que j’avais à vivre au sein de cette compagnie. On n’est jamais quelque part pour rien.

Est-ce que cette réponse fut satisfaisante pour ce directeur ? Je n’en sais trop rien. Je suis Poisson, on ne m’attrape pas aussi facilement avec de simples mains, à moins d’être plus fluide que l’eau. J’ai l’habitude de la fuite. On me répondra alors qu’il n’est pas étonnant que je sois seul. C’est possible. J’ai peut-être à comprendre ce karma de séparations qui fut le mien. Si karma il y a. Je me méfie plus que tout des certitudes bien pensantes. Et puis, je ne suis pas vraiment seul même si j’ai encore du mal à lire le détails des contrats qui me lient aux autres.

Là où je me vois ? Eh bien, assis dans l’existence à respirer. Je tourne en rond comme un chat qui s’enroule dans sa boîte de fortune, comme un chien qui se résigne à s’endormir faute d’excitation.

Le reste n’est qu’une aléatoire littérature.