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Après le party

16 décembre 2018

Vendredi soir avait lieu le party de Noël de la compagnie. Comme tous les ans, la fête fut généreuse. Cocktail dînatoire et profusion d’alcool. Le rire n’est pas juste facile ainsi, le bonheur de travailler ensemble existe réellement, je crois, au sein de Spiria.

Au-delà de la fête, ce que j’aime par-dessus tout, et même avec un certain regret que je décrirai plus loin, c’est le dialogue, l’intimité ou la confidentialité qui, on le devine, s’installe après s’être trempé ne serait-ce que brièvement les lèvres dans un verre.

En très peu de temps, des pans complets d’une vie peuvent vous être dévoilés candidement, et c’est peut-être parce qu’on me dit avoir le coeur à la bonne place qu’on n’hésite pas à me parler. Ce vendredi-là donc, celui-ci m’aura confié ceci, cette autre m’aura dit cela. Je ne peux, ne veux rien dévoiler. Ce ne sont pas de si grands secrets, non plus, et s’il fallait les redire en d’autres circonstances, paraîtraient-ils n’être que les manifestations de la vie ordinaire. L’intérêt est ailleurs, pour moi. Il réside dans la connivence. Dans le vacarme d’une soirée bien arrosée, quelqu’un parle de sa vie. Se souviendra-t-il, se rappellera-t-elle ce qui aura été confié ? Peut-être pas.

Moi, si.

Parfois je me dis que j’aurais aimé être un prêtre, un psychologue, pour entendre la vie des gens. En tant qu’écrivain, j’ouvre déjà grandes ouvertes les oreilles. J’observe dans l’ombre. Je ne dis d’ailleurs pas grand-chose de moi. Du moins, en dis-je moins. J’ai appris, je crois, à me taire.

Aurais-je vraiment aimé être un prêtre pour cela ? Ou un psychologue ? Honnêtement, non. Puis, il y a un regret ou plutôt une inquiétude, oui. Ai-je appris à me taire parce que je n’ai plus rien à dire sur moi ? Je n’écris pas non plus de « vrais » livres, de « vraies histoires ».

Une personne qui écoute n’est-elle pas un brin timide ? Ce vendredi, je n’ai pas dit à celui-là que lorsqu’il me parlait, j’avais un désir profond de me coller à lui, non pas pour un plaisir sexuel éphémère, mais seulement pour goûter à son existence. Je n’ai pas dit non plus à cette autre toute la douceur que je pensais d’elle. Pourquoi ne dit-on pas ces choses ? Parce qu’elles sont ridicules ou parce qu’elles sont trop précieuses ?

J’ai vu d’autres employés durant ce party qui semblaient se dire également des confidences. Je rêvais ? J’ai vu le regard triste de l’une d’entre elles. Vu avec tout le bruit et la distance silencieuse qui nous séparait, qu’elle pleurait intérieurement. J’ai peut-être simplement inventé comme j’aime le faire. J’en ai vu d’autres se toucher avec ce plaisir d’être bien ensemble, à danser et s’oublier quelque peu, imbibés de vin ou de scotch. Je sais que les gens sont heureux de travailler pour cette compagnie et l’alcool offert n’en est pas la cause. Il y a les gens qui savent tout simplement danser.

De mon côté, je ne danse plus. Je peux comprendre ceux et celles qui parcourent les bars en quête de la drogue carnavalesque et théâtrale de la vérité déliée de la raison. En 1982, j’écrivais dans les cafés, à regarder les gens, car j’avais une peine d’amour, vous savez, de cette blessure qui résonne longtemps, parce que c’est la première et qu’elle trace l’ombre du bonheur à suivre.

J’aime donc ces occasions trop peu fréquentes pour moi qui, en dehors de l’écriture que je partage ici, me permet de dessiner la passion qui nous anime tous de vivre. Ou est-ce vraiment la vie pour tous ? Que de questions qui naissent à essayer de ne répondre qu’à une seule !

Le lendemain, et même le surlendemain, sans que j’aie la gueule de bois, j’avais dans la pensée le goût amer que le silence était revenu. J’ai regardé, comme je le fais quotidiennement, les portraits Instavides, criants pourtant de sincérité maquillée, des gens qui dépeignent leur vie éthylique ou l’humble vie qu’ils chérissent et partagent candidement alors que des algorithmes décident quelle sera la prochaine publicité à mettre sous leurs yeux.

Non, il n’y a pas que l’alcool pour créer cette dérive. L’esprit est bien capable de s’enivrer tout seul à espérer l’espoir et survivre jusqu’à la fin du possible.

D’ailleurs, aujourd’hui, dimanche après-midi, j’ai fait mon pain, je l’ai dit à toute la planète Internet qui m’envoya ses likes. J’ai vu le visage d’un bel homme. Je lui ai dit que la lumière lui allait bien. J’ai vu aussi que mes soeurs bavardaient dans un canal privé, montrant ce qu’elles préparaient pour les fêtes. Le dîner de Noël est difficile à préparer de nos jours avec toutes ces allergies qui sont apparues d’on ne sait où !

Où allons-nous, mon Dieu, madame Chose, voulez-vous bien me le dire ?

Tiens, je vais appeler mes parents. J’aurai toujours besoin de leur bonté et de leurs vérités. Et je n’ai pas pris une goutte d’alcool pour dire cela.