Voilà bientôt cinq mois que j’apprends le portugais. L’intérêt pour cette langue n’est pas subit. Il date du début des années 2000, ce temps de tous les contacts sur Internet, durant lequel j’ai connu le vivifiant Vinicius qui m’a inspiré Les Années-rebours et qui aura également insufflé à Falaise ses premiers élans d’inspiration. Et cet intérêt s’est mué naturellement en volonté depuis mon voyage à Lisbonne, où j’ai pu enfin rencontrer mon petit Brésilien vivant au Portugal, que j’avais connu six mois plus tôt, toujours grâce à Internet, le grand chaudron des communications et des passions.
Depuis ce temps, je communique beaucoup avec des correspondants d’un jour grâce à une autre petite merveille d’application, HelloTalk, qui favorise les échanges linguistiques. Je t’écris en portugais, tu me corriges, tu m’écris en français, je te corrige et vice et versa. Ce faisant, l’apprentissage s’accélère puisque l’immersion, même à distance, confronte rapidement les apprentissages.
Encore là, comme dans la vraie vie, à force de rencontrer des gens, on finit par trouver quelques perles rares, des êtres avec qui les conversations creusent un peu plus profondément dans le sol de la vie. Ces correspondants sont en majorité jeunes. J’ai ce petit allumé, étudiant en médecine, à peine 20 ans, qui, de son nord brésilien, me pose toutes sortes de questions sur le beau Canada. J’ai cet autre, dans le sud à qui je prodigue encouragements et flatteries, cet autre aussi, militaire heureux d’être avec la plus belle femme du monde, ou encore celui-là qui veut devenir diplomate. Enfin, il y a celui-ci, agréablement doux, qui chante comme un troubadour, qui a toute la vie devant lui. On me fera remarquer qu’il n’y a pas beaucoup de filles dans ce lot et je répondrai que ce n’est pas à force d’essayer.
Quoi qu’il en soit, je suis en contact quasi quotidien avec le Brésil et, en à peine cinq mois, suis-je capable de comprendre le portugais écrit, commence à balbutier des bouts de conversation (car on peut échanger par enregistrement interposé avec HelloTalk). Ce contact se fait surtout avec ces jeunes, qui pourraient être mes fils. Certains sont gays, d’autres pas. Beaucoup vont à la messe, car ce pays est encore très ancré dans les racines divines.
Mon petit Brésilien du Portugal est à peine plus vieux, 32 ans. Je devine déjà dans les esprits une petite pensée en coin. Le vieux se paie des petits jeunes? En réalité, le vieux qui n’apparaît pas si vieux que ça, n’est pas là pour draguer. La jeunesse vient à lui et il s’en réjouit même si, et c’est le but de ce texte, cela le remue un peu, beaucoup. Le vieux se sent certes un peu vieux, surtout ces temps-ci, car il travaille trop fort et il est fatigué. Mais le vieux n’est pas encore vieux. Il prête l’oreille à ce ressac d’eau vive qui se bute à son existence. Cela n’est pas vraiment enivrant, davantage une mélodie un peu amère dans laquelle les rythmes et les accords s’entremêlent dans l’indifférence la plus totale.
Tout devient gris quand on mélange les genres, les vieux et les jeunes. J’aimerais, bien sûr, posséder encore cet âge, juste parce que cela me donnerait une chance de voir d’autres soleils. Je sais pertinemment que cela ne sert à rien de s’accrocher à l’eau de jouvence. Elle n’existe que pour passer.
La jeunesse ne peut rien m’apprendre, puisque je suis mon propre professeur. Le temps nous apprend cela. J’ai cependant tout à gagner à la côtoyer comme les grands-parents se collent à ces nouveau-nés qu’on leur présente. Mais je sais que les accords sont irréconciliables.
Car si jeunesse savait, elle se détournerait invariablement de cette connaissance. C’est son rôle de ne pas connaître. Si vieillesse pouvait, je ne suis pas certain qu’elle recommencerait autrement, car elle saura aussi qu’il n’y a qu’une seule fontaine, que l’eau replonge soit dans son bac soit qu’elle se laisse transporter, évaporée et transformée par son Zeus.
L’ignorance est une autre muse, peut-être la seule qui compte, un sexe, une saveur quasi délétère et qui nous enivre. Et puis, je peux encore, je ne suis pas encore si vieux. Je ne suis maintenant nulle part. Je ne suis ni à la croisée ni au bout d’un chemin. Ces jeunes sont là pour me le rappeler et moi, je suis là, pour leur dire de ne pas s’occuper de moi. Ils n’ont rien à cirer de la certitude. Tout juste puis-je leur dire de faire attention durant leur voyage. La vie est un corps chaud, l’esprit une envie froide, dictatoriale.
La jeunesse est aussi belle qu’un ara. Mes yeux aussi gourmands que ceux d’un centenaire avalant ses dernières bouffées d’air.