Il vente très fort ce soir. Cela ressemble à une soudaine tempête que les météorologues n’auront pas vue venir. Je m’étais assoupi après ma journée de travail et les bourrasques contre ma fenêtre m’ont réveillé. Je me suis alors installé au piano, ai plaqué quelques accords et, comme depuis quelques semaines, j’ai fait des sauts de quinte. Du do au si, deux octaves plus hautes.
Il y a trois ans, je criais victoire pour avoir gueulé un si bémol. Depuis ce temps, le la aigu n’est pas mal et j’apprends peu à peu à entendre et à chanter le si bémol, parfois le si, puis parfois le do. Ce week-end, en chantonnant ces mêmes quintes tout en faisant mon pain, j’ai poussé une note que je trouvais étrange. Je suis allé voir ce que j’avais atteint. Un do dièse, ma chère.
Ce n’était pas du beau chant, mais ce n’était plus du cri, plutôt l’appropriation d’une oreille nouvelle.
Je m’obstine depuis quatre ans, bon an mal an, à étudier le chant. Redécouvrir ces aigus qui m’ont si souvent été reprochés ne se fait pas sans peine, mais cela vaut cette peine. Il y a plein d’obstacles, à commencer par l’âge, ces hautes notes qui sortent de ma bouche ne sont plus juteuses comme celles de mes premières hormones. Qu’importe, s’il est une grâce atteinte cette année, est ce plaisir de m’asseoir au piano et d’y verser, non pas des larmes, mais un chant. Je me laisse aller de plus en plus, à renouer avec une âme discrète, toute personnelle. Je fais de plus en plus fi de l’analyse. Il me faut juste changer et chanter.
La technique classique n’est peut-être pas, au premier abord, la meilleure des thérapies, car elle ressemble à du CrossFit vocal. J’ai, par exemple, à assimiler des exercices vocaux assez pénibles, faits pour les professionnels. J’y arrive à peine et sans trop de subtilité musicale, car encore trop imbu d’académisme. Jeune, j’aurais passé des heures à vocaliser sur du Rubini (un des premiers grands ténors qui avait la voix aussi haute qu’une jeune demoiselle).
Puis, je ne suis pas aussi assidu à mes exercices, que la dépense ne l’exige. Est-ce de l’argent lancé par la fenêtre? Un comptable dira que oui. Mais je ne peux m’arrêter. J’ai abandonné la chorale car trop prenante et, au final, peu satisfaisante (autant pour le spectateur que pour le chanteur). J’ai seulement accepté de faire partie d’un petit ensemble et c’est le gros maximum que je peux faire.
Au-delà de ces considérations mondaines, il y a le chant, l’émotion et la santé que cela entraîne. Il y a ce torse qui se dresse, il y a cette gorge qui se libère, il y a ce coeur qui se console tout seul.
Il me prend le goût de faire des solos et j’y reconnais ici mon désir profond de communiquer, de communier. J’écris pour entrer en relation avec autrui, je chante pour attirer les marins. À bien y penser, c’est la même chose que pour l’apprentissage du portugais. Je suis inscrit à certaines méthodes qui me mettent en contact avec les gens. Cela ressemble à la même quête (et le même drame?).
Chanter adoucit les moeurs? Les miennes demeurent pourtant lubriques. Encore heureux que ma voix se drape de méthode pour cacher mes pensées obscènes.
J’aime bien ce mot, obscène. En dehors de la scène. Finalement, le meilleur théâtre est celui en dehors de notre âme, entre les jambes et les synapses de la condition humaine.