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Dans mes bulles

28 décembre 2012

Hier soir, le corps encore dans l’eau à créer des nébuleuses avec les bulles de savon. Je n’ai pas vu passer la tempête qui n’a pu traverser les murs. La maison, ce matin, est silencieuse comme une église dans laquelle on ne prie plus.

Il y a bien eu Yves, mon voisin du dessous, qui est venu prendre son petit déjeuner avec moi. Sa vitalité est contagieuse. C’est un homme qui ne tient pas en place, une belle braise vivante. Sa présence quotidienne est d’une grande richesse pour moi. Comme à son habitude, puisqu’il ne peut justement pas tenir en place, il est parti magasiner, et ensuite faire son sport. De mon côté, je m’apprête à travailler, à reprendre les tâches vaguement laissées en plan depuis quelques jours. Pour un travailleur autonome, les calendriers sont plus liquides. Les vacances n’existent qu’à l’occasion. J’ai des envies, parfois, d’horaires institués par d’autres, enfiler à nouveau les gants du salarié. Vivre comme je le fais comporte ses dangers, mais au bout du compte, les temps ne sont-ils pas précaires pour tous ?

Autour de moi, je sais la planète mue d’une grande agitation, comme si nous étions tous énervés par la pleine lune. Les scientifiques ne cessent de nous répéter que nous vivons sur une poudrière, les politologues et les journalistes n’ont plus assez d’encre pour nous décrire ce monde bouillonnant et contradictoire, les peuples crient famine, les économies manquent d’huile, les gens du nord semblent vouloir pourtant poursuivre la fête tandis que ceux du sud s’invitent dans des salons déjà trop encombrés. Comme le disait un artiste dans Le Devoir, ce matin, il y a eu, en 2012, beaucoup de révoltes, mais aucune révolution. Tout va mal et si ce discours est éculé, il n’en demeure pas moins vrai.

Et moi, je suis dans mes bulles. Après avoir lu un peu, hier soir, je me suis calé bien droit dans le bain, non pas sur le sens de la longueur, mais dans celui de la largeur, ai croisé à l’indienne mes jambes, fermé les yeux, déposé mes bras sur mes genoux, ai respiré, allongé la colonne vertébrale, inspiré lentement par le nez. Le thorax s’est gonflé. Ai laissé filer quelques notes d’un air appris durant mon cours de chant. Paix simple, heureuse et surtout privilégiée.

On dit que le bonheur doit se vivre ainsi, en appréciant chaque instant, en remerciant la vie d’être ce quelle est. En se délectant du miel de cette existence friable. On peut avoir mal, on peut être seul, avoir faim. On peut être en train de mourir, de jouir. On peut ne pas savoir de quoi sera fait la prochaine heure. À quoi bon de vouloir connaître ? Si on ne sait de quoi est fait la matière de notre route, comment peut-on espérer l’emprunter ?

Méditation de prince. J’entends au-dehors les déneigeuses fendre les rues.