La violence est le dernier refuge de l’incompétent. J’ai repensé à cette phrase en tournant mon regard sur cette église bientôt transformée en luxueux condos. Il y a cinq ou six ans, L’Ensemble vocal Ganymède s’était présentée à un festival de musique sacrée, tenu à l’époque à la basilique Notre-Dame. Dans le texte d’introduction fourni à l’occasion au présentateur, il était fait mention de l’appartenance de Ganymède à la communauté gaie. Ce chœur a en effet pour l’une de ses missions de promouvoir des valeurs de respect. Lorsque vint notre tour, le présentateur lit le laïus fourni, mais saute la phrase concernant l’homosexualité. Les organisateurs avaient cru bon de taire cet aspect, puisque nous étions dans une église. Le pire dans tout cela est que les choristes accusaient le coup juste avant de chanter, de bonne foi (et sans jeu de mots) devant l’auditoire.
Les dirigeants de Ganymède ont par la suite protesté et les organisateurs se sont excusés. L’année suivante, ils ont pris soin de lire intégralement la présentation. Petite victoire, donc, pour nous.
Ce n’est pas tant que Ganymède tient mordicus à afficher son appartenance à la communauté, surtout que celle-ci n’est pas nécessairement son public (nous chantons tout de même du classique, parfois contemporain, ce n’est pas donné à tout le monde, pas plus chez les gais que chez les hétérosexuels). Ce qui choque cependant est de voir que rien n’est gagné, ou si peu. Certes, les homosexuels du Canada ont maintenant la loi derrière eux (sans jeu de mots !) et les homophobes doivent se la fermer.
Mais encore ? Voici un autre exemple. Ganymède vient de se faire faire le même coup de la basilique, mais cette fois par une communauté religieuse. Le concert est pour ainsi dire privé et, pour faire une histoire courte, on ne s’est pas aperçu, là-bas, que nous vivions dans le « péché ». Toujours est-il que la petite phrase clé a été biffée de la présentation du programme et on a tenu à nous en avertir. Sera-t-elle prononcée de vive voix par le commentateur, nul ne le sait, mais j’en doute. Nous sommes chez des fondamentalistes...
L’administration du chœur fut encore une fois heurtée et les premières réactions furent très émotives. Toutefois, on fera comme si de rien n’était. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons dont la première est que nous sommes engagés, en tant qu’artistes, et que les organisateurs ont le droit de faire ce qu’ils veulent (on va tourner ici les coins ronds). Ganymède ne tient pas à faire de l’esclandre, surtout que le public n’est pas, à prime abord, le responsable de cette histoire. Ils ont droit à leur spectacle. La deuxième est que le chœur vit lui-même un perpétuel cheminement et questionnement. L’appartenance à la communauté est-il encore pertinente alors que deux autres chœurs à Montréal sont nés, et qui chantent plus dans le goût de la « communauté » ? La question se pose d’autant plus que le recrutement est plus difficile que jamais. Être gai et vouloir chanter du classique, à voix égales (seulement des voix d’hommes), ça devient fort pointu.
Ganymède ne devrait-il pas s’ouvrir au reste des choristes masculins ? Il le fait déjà ! Être gai n’est pas une condition pour chanter avec nous ! L’an passé, nous avions d’ailleurs, un record, deux hétérosexuels parmi les rangs. Ils ne sont plus là cette année pour des raisons diverses. Il n’en demeure pas moins que le malaise demeure. Sans vouloir renier notre appartenance à la communauté, nous savons bien qu’elle n’est pas le moteur de notre volonté de chanter. Mais... si on touche un doigt à notre identité, on montre les dents, et avec raison... On répondra d’ailleurs que promouvoir des valeurs de reconnaissance et de respect n’a rien à voir avec le public cible. Ainsi, si la tentation d’atténuer notre discours s’explique pour des raisons x, des raisons y viennent nous rappeler que la bataille de la reconnaissance est loin d’être gagnée. Cette bataille se fait pour nous, face à cette homophobie tranquille, par une affirmation mesurée et tranquille.
L’église près de chez moi se transforme en condos. J’aimerais bien qu’on lui enlève ses pointes agressives qui affirment sa certitude qui a fait plus de mal, dans l’histoire, que de bien. Les intégristes, qu’ils proviennent de contrées qui font peur ou de nos paroisses qui se meurent, demeurent des intégristes, des gens qui, à défaut de vouloir composer et comprendre le monde, le détournent. Bravo à ces sociétés qui, par leur tolérance, éloignent du pouvoir les croyants de toutes les couleurs. Le Bien se résume à aimer son prochain, et c’est ce que nous faisons, je crois.
Pour Ganymède, la leçon à y trouver est de bien sûr de stipuler dans ses contrats que la mention de son appartenance n’est pas négociable et que, à l’avenir, il faudrait éviter d’aller chanter, non pas dans les églises qui demeurent d’excellentes salles de concert, mais chez certains curés (et ce ne sont pas tous les curés qui sont ainsi), qui resteront d’épouvantables exemples de méchanceté.