Je suis, bien entendu, seul au monde. C’est ce que mon esprit me suggère chaque matin. Il analyse, à son réveil, l’état du corps, oublie habituellement de me le relater, garde pour lui probablement le meilleur de tout ça. Quand je gonfle mes poumons, je n’y perçois que ma seule présence, quand j’ai faim, c’est pour mon seul intérêt.
Quand je m’appuie contre une peau, quand je découvre la présence d’un autre, elle est forcément étrangère. C’est ainsi que l’amour et l’amitié s’enflamment ; c’est également ainsi que la haine surgit. De ces étincelles provoquées par les différences. L’autre est un enfer, disait Sartre. Je crois que la géhenne prend sa source dans l’ignorance. Lorsqu’on élargit le cercle de nos considérations, les géographies de la bataille s’édulcorent. Nous appartenons à tout le monde et à nous-mêmes, voilà bien la grande contradiction à chérir. Prendre conscience de notre appartenance aux autres, savoir que l’on dépend à la fois des cieux que nous aimons, mais aussi des ravins que nous craignons est une tâche gigantesque. Nous survivons sur cette Terre parce que notre espèce travaille pour nous.
Devrions-nous alors aimer tout le monde ? En quelque sorte oui, même si cela est impossible. Il y a quand même trop de cons sur cette planète, il ne faut pas trop en demander. Toutefois, nos certitudes n’ont-elles pas fait verser plus de sang que nos questionnements ? Si, au lever du jour, notre esprit tempérait un tant soit peu ses velléités, ne serait-ce que quelques instants de rêves, qu’il s’habillait humblement le temps d’une simple reconnaissance et si, tout le jour durant, il prenait soin de conserver, bien protégée dans sa lanterne, la petite flamme de la bonté, nos gens n’en seraient-ils pas révolutionnairement colorés et changés ?