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Intùiti, ou le jeu de l’existence

24 avril 2021

Elles seraient la boussole d’un monde appelé Intuition, annonce le site Web Intùiti. Le designer Matteo di Pascale en a eu l’idée dans sa quête de compréhension du processus créateur. Ses cartes sont basées essentiellement sur le squelette du Tarot. Le même nombre d’arcanes majeure et mineurs. Là s’arrête probablement la comparaison, même si le manuel donnera l’équivalence avec le système traditionnel.

Toutes les cartes sont réinterprétées, tant par le design que par les symboliques qui les sous-tendent.

Dans une présentation TED, le designer explique que ses intentions étaient toutefois mal dirigées. Si le but était de promouvoir la créativité, ce n’est pas tant ces cartes qui pouvaient l’initier. Aucune idée géniale n’est sortie des séances qu’il organisait dans les cafés. Autre chose s’éveillait toutefois chez les cobayes: la réalisation qu’ils étaient enfermés quelque part dans leur existence. Un chef d’entreprise n’avait plus le cœur à l’ouvrage, une femme réalisait que son mariage n’était qu’une prison, un autre que sa passion pour son bel amant était un leurre.

C’est souvent ce qui arrive dans le processus créateur. Que ce soit le peintre, l’écrivain, le danseur ou que sais-je encore, et surtout après que les impulsions soporifiques de la jeunesse furent longtemps distillées dans les échecs, l’esprit s’enferme dans des habitudes, des convenances ou s’assoit sur des lauriers mérités. Le processus créateur est toujours une question de casser la barraque, concept autrement décrit dans The Crack in the Cosmic Egg. En ce sens, di Pascale n’a rien découvert. Le mérite de ses cartes réside dans cette réinterprétation du Tarot.

On ne fait cependant pas comme au Tarot, choisissant au hasard les cartes afin que le destin se révèle à nous. Il n’y a rien qui nous gouverne, nous contrôlons tant soit peu notre univers. À tout le moins, nous entreprenons sciemment le voyage sur l’océan qui semble être le nôtre. Donc, dans ce jeu contemporain, on observe plutôt les faces révélées des cartes, sélectionnant ce qui, au moment présent, nous émeut. Il s’agit d’un jeu, entre le chat de notre corps et la souris de nos rêveries. Il ne s’agit pas de divination, mais de divination et d’exploration.

Quelle est la valeur de l’exercice? Je ne pourrais tout de suite conclure. L’auteur nous suggère trois premiers tests et je n’ai fait que le premier. Dans celui-ci, di Pascale nous invite à choisir deux cartes, la carte A sera celle qui nous attire le plus alors que la carte B sera celle pour laquelle nous éprouvons une répulsion spontanée.

J’ai choisi celles-ci:

Le Guide complet est disponible sans achat sur le site d’Intùiti. Page 94. La carte XXII est celle que j’ai choisie en premier. En Tarot traditionnel, c’est le Fou. Dans Intùiti, c’est le Papillon. Cela me convient. Have fun, go crazy, Aie du plaisir, sois fou. Ne l’ai-je pas toujours été un peu? Mais qu’est-il devenu de cette folie, me suis-je enfermé dans les convenances, ayant trop peur de perdre mon précieux salaire? À 62 ans, qu’est-ce que cela veut dire, être fou, avoir du plaisir?

Pour carte la carte B, j’ai choisi la XVIe, la Tour dans le Tarot traditionnel, Tabula Rasa dans Intùiti. Page 84. C’est la véritable perturbation. Nous connaissons maintenant nos vérités et nous les vivons. La question est : «Qu’est-ce que je ne dis pas à voix haute ? Pourquoi ne le dis-je pas ? Quelles en seraient les conséquences ? Est-ce que ce serait vraiment si terrible ? … L’archétype invite à embrasser la chute : faire la fête après avoir été licencié, ressentir l’explosion de la vie en spirale, se réjouir de la volonté de se relever et de recommencer. Si nous nous sommes débarrassés d’une certaine situation, cela signifie qu’elle n’était pas faite pour nous, réjouissons-nous ! … Dites la vérité. Démontez tout si c’est nécessaire.»

À la bonne heure. Peut-être, si j’avais choisi d’autres cartes, j’aurais senti la même vérité, mais je ne le ferai pas. Je me sens mal à l’aise face à la table rase, face au mur que je décrirai dans un prochain billet. Je tente encore l’aventure.

J’aime bien ce petit jeu de cartes. Il est resté dans sa boîte pendant six mois après son achat. Il fallait bien que je l’ouvre pour qu’il secoue mes petites peurs. J’essaierai souvent d’en jouer, car ce qui compte vraiment, c’est de toujours percer la fine pellicule que le Temps, cette araignée, tisse autour de notre existence dont la mort est déjà annoncée. L’obstinée passion d’un fou qui est certain de ses illusions et qui, le jour suivant, changera invariablement de certitude et de regard.