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Invisible

24 mai 2015

Jeudi dernier avait lieu un cocktail offert par ma maison d’édition. J’y suis arrivé trente minutes après l’heure prescrite sur l’invitation. Dans les petits locaux de VLB/Hexagone/etc. s’entassaient bon nombre de gens, ayant visiblement bu et mangé. Des plats continuaient à circuler. Il faisait chaud.

Après avoir salué mon attachée de presse, trop occupée à servir les gens au bar pour vraiment s’attarder sur ma petite personne, je me suis glissé dans l’une des salles ouvertes à l’occasion. Des conversations animées tout autour de ce que j’étais, à savoir un piquet silencieux, tenant d’une main son verre de vin et, de l’autre, son canapé vite avalé.

Je déteste ces réceptions, car je ne connais personne et comme il m’est naturellement difficile de faire les premiers pas, je reste dans mon coin, droit comme un majordome.

Une dame m’aborda, fort gentille d’ailleurs. Nous avons parlé cinq minutes, puis une amie est arrivée et les deux se sont enfermées dans une conversation enjouée à laquelle je n’étais pas vraiment invité. Après trente minutes de promenade solitaire, je suis parti, bien avant le discours de l’éditeur. J’étais invisible à mon arrivée, je le suis devenu totalement après mon départ, assez triste tout de même.

On est la plupart du temps surpris quand je dis que je suis asocial, que j’ai de la difficulté à me mêler aux gens. Qu’on me donne un rôle dans une soirée, et je change du tout au tout. Je perds pourtant mes moyens dans une soirée où je ne connais personne, incapable de m’accrocher à une conversation ou à un individu, trop orgueilleux pour m’approcher d’autrui et essuyer des refus polis. Mon cas n’est pas unique. La dame écrivaine qui m’aborda possédait un don que je n’ai pas. Elle eut certainement du mal avec moi. Elle m’a demandé si je connaissais tel ou tel écrivain, force était de lui répondre que j’étais un inculte en littérature. Que voulez-vous répondre à cela ? J’ai beaucoup de qualités et de conversation, mais j’ai également le défaut de vouloir toujours parler de choses profondes, ce qui ennuie bien des gens, déjà aux prises avec cette patate chaude qu’est l’existence.

Dans ce genre de réunions, il y a trop d’auteurs, voire d’egos et je suis très malhabile à pavaner le mien.

Durant ma petite inspection des lieux, j’ai vu de grandes affiches des couvertures des plus récents ouvrages publiés chez VLB. Pas le mien pourtant. Mon livre ne faisait pas partie de ce tableau de chasse. Je le répète, je suis orgueilleux. Mon livre a eu sa petite heure de gloire, mais pas suffisamment pour trôner d’office dans le hall d’entrée. On ne peut tout afficher non plus. Là n’est pas le problème. Je suis probablement le plus invisible des auteurs. Je ne mêle pas à eux et, il faut bien le dire, je ne pense pas à l’écriture tout le temps. Je lis rarement les autres aussi. J’ai pourtant beaucoup lu, mais maintenant, mon regard s’attarde sur un rayon de soleil et j’ai tendance à fermer ma gueule.

Pour ceux et celles acquis à la chose astrologique, je pourrais préciser que j’entre dans une longue phase neptunienne (Neptune carré Mars, puis conjoint Soleil, ces deux « astres » étant en carré dans le thème natal). Une petite définition s’impose. On excusera l’anglais :

« During this period of time, you’ll face severe challenges to your sense of identity and be compelled to find your true purpose in life. This will often cause confusion as you question the path you’ve been on, and you may feel disillusioned with the more material side of your life. You want to experience more spiritual satisfaction in your work and may often feel defeated by the harshness of the material world. But you may experience this time in a different way. A new opportunity may suddenly appear that seems to represent the spiritual qualities you’re now looking for, and you may feel compelled to pursue this new path, whether or not you’re really prepared. While you have your eyes on the sky the ground beneath you will seem unstable, and you may have more difficulty handling your responsibilities and commitments. Other people may not understand your motives and question your decisions, but no one will be able to shake you from your idealistic cloud. You may experience more loss and it will be very difficult to build any concrete structures in your life. Resources seem to slip through your fingers and this is not the time to enter any business venture that’s »too good to be true”, or one that involves dealing with questionable people. You’re less discriminating now and more easily fooled by glorified promises and delusions of grandeur, and may even be tempted to deceive others or misrepresent your intentions. Your physical energy is extremely low and you may experience fatigue or a lack of direction and motivation. The positive aspect of this time is that it will also enhance your sensitivity and compassion for other people - just make sure you aren’t letting them take advantage of your good nature. If you can, it’s best to avoid making life-changing decisions until after this cycle has passed, when you’ll see the real meaning of your life more clearly. » (Source)

Ce texte ressemble à ce soleil photographié un matin, prisonnier de ses nuages et divisant le ciel avec des traits liquides. Il me semble vivre exactement ce que les astrologues annoncent. Tout s’étiole sans que cela soit dramatique. Ma vie va bien, même si de grandes incertitudes planent toujours sur ma réelle capacité à régler le matériel. Je n’ai aucune vision claire de ce que pourra être l’avenir. Quand je tente de faire le point, ma vision s’embrouille comme si mon cerveau se dissolvait lentement dans ces états maladifs qui vous rendent enfants, puis bébé, puis embryon, puis plus rien.

Mais je regarde toujours cette lueur sur le bord de ma fenêtre. Le soleil est beau, grand, aujourd’hui. En moi, des vagues larges, parfois calmes, parfois monstrueuses, soulèvent mes pensées, mon imaginaire. Ce Neptune, sur mon Soleil, tous les Poissons nés le 2 mars 1959 l’ont en même temps que moi. J’en ressens tout de même l’appel. Où dois-je porter mon esprit ? Sur quel navire dois-je m’embarquer ? Et si le destin se chargeait de choisir ma chaloupe m’obligeant à ramer dans des eaux inconnues ? Et si ma vie se terminait ainsi ? Dans le bonheur calme de l’indifférence ? Et si le grand flou se propageait dans mon sang, dans mes pensées, mes neurones ?

On verra, c’est la chose que je dois me dire. La seule en fait. Je n’ai qu’à continuer à marcher, à me promener, à regarder le soleil danser avec les ombres. La paix vient lorsqu’on s’oublie.

C’est ça être zen, il paraît. Mais encore ? Je pars dans trois semaines pour le Portugal, rencontrer un bel homme. Financièrement parlant, ce n’était pas encore le temps. Il y a eu des délais dans la résolution de mes finances (tiens, tiens, diront les astrologues). Le soleil se trouve là, en ce moment. Qu’adviendra-t-il de mon cœur ? Je n’en sais fichtrement rien. Je ferme les yeux puisque, de toute manière, en ce moment, tout est d’un gris passager, d’un brouillard emberlificoteur.