J’avais des trésors entre les mains, qu’en ai-je fait? Jeune, mon esprit se voulait de toutes les découvertes. Mon corps aimait danser, jouait, laissait à l’imaginaire le soin de lui fournir les raisons d’agir ainsi.
Blasphémante et naïve, ma passion dévorait les livres fourmillant de sucres et de promesses. Mon présent s’entourait d’espoirs sans comprendre ce qu’il désirait. J'étais maladivement sans souci et peureux comme un inconscient.
À l'adolescence, j'ai goûté à un garçon qui accueillit mes désirs pour aussitôt leur en vouloir. Après chaque étreinte, il me toisait, furieux, m'enferma dans la culpabilité et la honte. Il m'oublia, me cacha sans doute dans sa mémoire. Il était trop tard pour moi, drogué par un premier accident de chair.
Je ne me suis pas promis à ce moment de ne jamais plus m'y faire prendre. Comment aurais-je pu? Je suis probablement davantage cheval que chevalier. Un peu cigale et fourmi, inefficace à en tirer une fable.
C’est ainsi que les trésors se perdent, transgressés par les pirates. L’âge s'affirme, plonge ses racines, s'accroche à ce qu'il peut, forme un paisible et impuissant buisson, baigné dans l'air du temps.
Le temps roule. On s’énerve autrement, devient plus créatif à s’inventer des horizons que l'on croit inexplorés. La vie se répète, on n'y pense pas trop. Elle chante d'anciennes souffrances et de florales espérances, malgré la voix qui s’amenuise faute de ne plus vibrer. Autrefois, il y avait les Cyclopes et les Titans. Maintenant, il y a les hackers et les virus.
J’avais des trésors entre les mains, qu’en ai-je fait?
Je les ai usés pour un petit salaire. Ce n'est pas tant que je me sois perdu dans le travail. Je suis, après tout, ce que je suis, du talent à en revendre et des heures à dépenser. Tout finit par s'arranger, à avancer de soi-même. Ma besogne consista à respecter mon humble destin, à devenir un corps nu dans la rivière, lavé à l'ordinaire de l'existence.
Je ne me souviens pas trop de moi-même, de ce que je fus pour les autres. Je ne sais s'ils m'ont compris, aimé, si je ne fus pour eux autre chose qu'une poussière dans l'œil. J'ai, bien sûr, des trésors encore entre les mains. Je les partage avec ceux et celles que j'aime. J'ai la richesse de mes amours et de mes filiations.
Je me surprends à être surpris d'en être toujours à retourner le sol de mes questions, à étendre mes antennes au-delà de ma carapace, comme si je n'avais qu'un seul périscope pour guider mon voyage. Comme si le fait d'être aveugle me permettait toutes les visions.
Je me sens de plus en plus m'immobiliser, respirer les parfums d'une impardonnable sagesse. Tout me paraît certain même si aucune vérité ne s'en dégage.
J'ai toujours ces quelques trésors entre les mains. Qu'en ferai-je au dernier moment?
Mon héritage sera sûrement silencieux; il s'effacera comme on détruit une pièce d'électronique. Mes os ne seront pas recyclés, seulement réduits en une poudre exempte d'étoiles.
Je ne peux m'en offusquer, je ne suis pas le propriétaire de mes souvenirs. Je ne suis que ce que je suis et ce que je serai ne sera que ce que j'aurai été.
J'ai eu tant de trésors entre les mains. Ce que j'en ai fait ou répéterai n'a aucune importance.