La race humaine est jeune sur cette planète. Des fossiles datant de douze millions d'années indiquent la présence de très lointains ancêtres. Ce n'est pourtant pas avant trois millions d'années qu'une branche de l'évolution commença à se distinguer, puis à se raffiner il y a à peine 300 000 ans. En compagnie de quelques cousins, l'Homo sapiens prenait et dominait la route de ce que nous sommes devenus.
On débat de la chronologie exacte et je m'en voudrais de conclure trop vite. Rien n'est moins sûr dans l'histoire de la vie sur Terre, encore plus à propos de ce bipède vorace et curieux que nous sommes et qui ne s'est pas encore affranchi, d'après ce que nous voyons aux infos, de ses atavismes les plus sordides.
La vie, dans son ensemble, et dans toute sa kaléidoscopique variété, est un alambic fourchu, fragile et brutal. L'homo sapiens n'a pas échappé à ce parcours. Il a pu s'adapter et conquérir en prenant conscience autant du monde qu'i l'entoure que de lui-même.
Ce lent travail, nous disent les psychanalystes du XIXe siècle, se réalisa en codifiant son expérience à partir d'un cerveau puissant qui réprima, pour un meilleur contrôle, les pulsions et les peurs les plus bavardes. Cela créa des strates de conscience: la mémoire ancestrale, la bête ou la machine, le moi et les dieux. Encore là, il s'agit d'une matière à interprétation.
La mémoire ancestrale s'est sédimentée en couches profondes dans la psyché humaine. Ce sont les souvenirs et les expériences accumulées par nos ancêtres au cours de millions d’années d’évolution. Cette strate est associée à l’inconscient collectif, un concept développé par Carl Jung, qui regroupe les archétypes et les instincts hérités de nos prédécesseurs. Ces souvenirs ancestraux influenceraient nos comportements, nos peurs instinctives, et nos réponses automatiques aux stimuli. De cette zone s'extrapolèrent des dieux et des démons que l'on perçoit à l'autre bout de la lorgnette, dans des strates supposément supérieures. C'est l'un des paradoxes inhérents à la pensée humaine.
L'inconscient collectif opère ensuite sur la suivante, la bête ou la machine. La bête symbolise les pulsions animales et les désirs bruts, tandis que la machine évoque les aspects mécaniques et répétitifs de notre comportement. C'est le siège des pulsions de survie, de reproduction, et des réactions émotionnelles immédiates. C’est une partie de nous qui agit sans réflexion consciente, guidée par des impulsions et des nécessités biologiques. Il aurait été prouvé par de savantes expériences que la plupart de nos décisions nous échappent au profit de cette biomachine qui semble en savoir plus sur nous que nous le pensons.
Quant aux dieux, des êtres fantomatiques et difformes, ailés ou aux mille bras, ils se sont transmués en idéaux, croyances et aspirations transcendantales. Il s'agit d'un surmoi plus ou moins défini, apte à juger, à tenter en vain de fermer le couvercle hermétique de la connaissance. Cette strate de la conscience englobe la spiritualité, la moralité, et les systèmes de valeurs qui guident nos actions et des buts que l'on assume supérieurs. On ne sait pourquoi il a été inventé, pourquoi fallait-il qu'un essaim de mouches incompréhensible aux yeux flous des primates devienne un buisson ardent par la vision trop volontaire de Moïse.
Le Moi, en tant que canal de conscience et de dialogue, joue le rôle de médiateur entre ces différentes strates. Il est l’identité personnelle et la capacité de réflexion consciente. Le Moi intègre les influences de la mémoire ancestrale, des pulsions de la bête ou de la machine, et des aspirations des dieux, pour créer une perception cohérente de soi et du monde. Il est le pseudocentre de décision et d’autocontrôle, cherchant constamment à équilibrer les forces internes pour agir de manière adaptée. Du moins le croit-il.
Comme me le dicte ChatGPT, ces strates de conscience montrent la complexité de l’esprit humain et la façon dont des forces profondes et souvent inconscientes influencent nos pensées et nos actions. Elles illustrent également la lutte perpétuelle entre les impulsions primitives et les aspirations élevées, médiée par notre conscience réfléchie.
Et on n'y comprend pas grand-chose en fait.
Tel un fantôme, la conscience est une présence invisible et intangible. Elle existe sans forme physique, se manifestant à travers nos pensées, nos émotions et nos perceptions. Nous la pressentons sans pouvoir lui donner une forme. Elle peut disparaître à tout moment, fragile et éphémère, perturbée par des maladies, des traumatismes, ou des altérations chimiques, soulignant sa nature délicate, mais aussi son potentiel infini. Elle devient parfois marée divine, fléau d'extases, inventrice et esthétique. Elle sort également ses glaives et, par sa raison puissamment détournée, voire violée, coupe la tête des gens ordinaires.
Nous naviguons dans le monde avec une perception subjective, partiellement aveugle des réalités ultimes qui nous entourent. Nos sens et notre cognition ne nous permettent de saisir qu’une fraction de la réalité, laissant de nombreux mystères dans l’ombre.
Ainsi, en plus de cette incompréhension de ce qui nous anime, laissons-nous encore cette pensée assombrir l'horizon terrestre. Il y a certes de la lumière, des prouesses, voire des miracles. Notre espèce est jeune, après tout, quand on la mesure au passé de l'univers. Elle ne fait pas le poids, sa chaloupe d'orgueil ne peut être que ballottée sur l'océan féroce de l'existence.
Maintenant, notre fantôme s'invente un miroir issu des circuits électroniques qu'il a inventés. Où vis-je, où vais-je? se demandait le poète, et on peut lui emprunter ses questions. Je n'ai, pour ma part, aucune réponse à donner si ce n'est une poésie que j'associe aux quelques planètes formant le modeste système solaire que nous habitons. Je me plais dans la géométrie dansante du zodiaque, y ai trouvé mon refuge, cherchant non pas à comprendre, mais à me soumettre.
Il me faut poursuivre mon chemin, pincer les cordes de la lyre, calmer les échos, devenir cette lumière terrée dans mon souffle. Je ne suis pas éternel, mais peut-être qu'il existe en moi, sous des couches encore plus profondes que celles agglutinées dans ma cervelle, la mémoire indélébile de ce que je suis.