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La plante solitaire

25 février 2018

Je n’ai qu’une plante dans l’appartement. Elle est arrivée chez moi à la fin de l’automne, parce que les jeunes chats du voisin s’amusaient méchamment avec elle, la déracinaient comme s’il s’agissait d’une proie déjà morte. Elle n’était d’ailleurs plus belle à voir, rabougrie, penchée vers un horizon dont elle ne semblait pas reconnaître la géométrie.

Il s’agit d’un faux jasmin maigrichon dont Yves, mon voisin, persistait à conserver malgré les railleries de Laurent, son mari. Aussitôt que la température le permettait, il la plaçait sur la galerie arrière et elle pouvait mieux profiter du soleil, même si le grand frêne d’un de nos voisins s’accapare toute la lumière, au grand dam de Laurent et de ses rosiers. Puis, lorsque les saisons froides revenaient, Yves ramenait la plante à l’intérieur. Mais l’arrivée des chats a changé la donne. Peut-être les timides fleurs au parfum assez capiteux leur tournaient la tête si bien qu’Yves se décida à la monter chez moi avant qu’elle ne crève.

Depuis, et à mon grand étonnement, la plante reverdit, fleurit plus que d’habitude. Il faut dire que je m’inquiète pour elle. Je lui fournis aux quatre jours son eau quand mon doigt plongé dans la terre ne perçoit plus d’humidité. Il faut dire également que là où elle est, elle profite mieux du soleil, ma chambre donnant au sud. L’hiver aide, aucun arbre n’est là pour lui voler les rayons nécessaires.

Je ne me suis jamais considéré avoir le pouce vert même si mon ex m’affirma récemment le contraire. Je n’ai pas souvenir de ça (j’ai du mal à me souvenir, point, du moins pas de ces choses). Je craignais au départ qu’elle ne se plaise pas plus en ma compagnie qu’avec les chats du rez-de-chaussée.

Ma dernière inquiétude face à elle est sa solitude. On dit que les plantes se parlent entre elles. Ne dit-on pas que les arbres s’alertent face aux ravageurs ? N’affirme-t-on pas que parler aux plantes leur procure grand bien ? On dit la même chose des vaches laitières qui, à l’écoute de Mozart, donneraient plus de lait que si elles avaient à subir le choix musical de certains DJ.

Ma plante est seule, affairée à extraire de la terre les éléments qui la maintiennent en vie. Elle est seule la nuit à subir mes ronflements. Pourtant elle profite, ses éphémères émettent son délicat parfum. Moi qui n’ai pas vraiment le nez fin dois me pencher sur elles pour découvrir son odeur de grand-mère. Peut-être cela lui suffit. Elle n’en a, pour l’instant, pas d’autre choix.

Je crois que si son propriétaire me le permet, je vais conserver cette plante et lui trouverai des amies. Yves sera là pour me rappeler qu’il faut les rempoter, mais pour le reste, si je demeure fidèle au temps qui accompagne ma vie, je serai là pour elles.

Il ne s’agit pas de sentimentalité, seulement de présence respectueuse, la source de toutes les paix.