La poussière et les habitudes
Il n’y a vraisemblablement pas plus « pleine conscience » que ce temps passé sur un bol afin d’évacuer le nécessaire. On ose trop penser à ce qui sort, l’esprit s’en va ailleurs, le regard scrute bêtement l’horizon restreint de la salle de bains.
Parfois, surtout la nuit, le temps d’un vidage nocturne, peut-on voir tel ou tel insecte, surpris par la faible lumière allumée, ramper vers une invisible nourriture. Je possède une vieille maison, elle est depuis longtemps habitée par des créatures inoffensives pour l’humain, auto-nettoyantes, destructrices utiles.
Le jour montre un spectacle plus cru, surtout la poussière qui s’accumule sans qu’on y prenne garde. Disons que, vivant seul, j’ai une relation plus ou moins fidèle avec la poussière.
J’ai pourtant senti ce matin l’appel de l’aspirateur; les traces, pourrait-on dire profondes, sur la pesée, me donnaient le signal qu’il fallait remettre les choses en ordre. J’étais tout de même fasciné, encore sur mon bol, d’y observer là mes pieds. Je semble toujours les déposer au même endroit sur la balance. Je ne prends pas mon poids tous les jours, il n’empêche que la région où j’y dépose mes pieds est la plus propre. Si c’était du ciment, j’en ferais sûrement des artefacts pour les futurs archéologues.
Bref, nos habitudes ont sans doute un lien avec l’hygiène – ou avec un désir de sécurité. Par exemple, le classement dans mon ordinateur est supérieur à l’ordre dans ma maison. Mes draps sont plus propres que mon plancher de cuisine et le verre de mes lunettes plus étincelant que le miroir de la salle de bains. Même chose pour les dents depuis que mon dentiste me prévint qu’il y avait péril en la gencive.
Dans les récifs des mers chaudes, de minuscules poissons attendent qu’une tortue se stationne près d’eux. C’est le temps d’un curetage de carapace. Les poissons s’affairent alors et, une fois repus, l’habitacle de l’animal propre, ils retournent dans le corail attendant le prochain client.
Dans les salons, les coiffeurs attendent que des dames ou des messieurs s’assoient sur une chaise. Ils ne se nourrissent pas tant de cheveux ou de pellicules, mais en retour d’une certaine somme, remettent de l’ordre dans le naturel de leurs clients. C’est pour moi du pareil au même, une sorte de cycle atavique.
Mais la poussière ne dit jamais son dernier mot. Ces clients au crâne bichonné cachent peut-être des endroits plus humides et moins entretenus. Si les gencives sont saines, qu’en est-il du foie?
L’état immaculé est une utopie. Un peu de poussière n’a jamais nui à personne, mais ô que ma mère ne serait pas d’accord!, elle au nez si fin qu’elle sent tout de suite l’accumulation la saleté comme d’autres voient les auras.
Ce matin, la pesée m’indiquait encore que mon poids était stable. Je ne sais si cela est de bon augure. Toujours est-il qu’il est temps de passer l’aspirateur avant de replonger de plus belle dans le sommeil sain de mes habitudes.
Le jour où ma maison sera toujours propre, je me demande dans quel état mon esprit sera…
