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La surprise

5 novembre 2013

Je marche d’un pas régulier, assuré. Je fais le trajet en trente-six minutes bien comptées. L’automne est encore clément, le soleil presque toujours au rendez-vous. Je marche en ligne droite, remonte Lajeunesse, bifurque sur De Castelnau pour aller rejoindre Saint-Laurent, puis Saint-Urbain.

Cette marche quotidienne pour me rendre au bureau me fait grand bien. J’ai le temps de cogiter en me refaisant des mollets, ne regarde pas vraiment autour de moi. Je pourrais emprunter une des nombreuses rues rectilignes et parallèles à celle que j’emprunte. Je les ai essayées pour me rabattre finalement sur un parcours ordinaire.

J’ai souvent, ou déjà, la tête au bureau. Je réfléchis à comment je pourrais faire ceci, à comment je pourrais amener cela. Bref, je ne suis pas poétique pour deux sous. Mon pas l’est pourtant pour moi. Je marche, je marche, je marche, je reprends conscience en arrivant aux intersections, je brûle les étapes sans vouloir ne rien éteindre. Je ne me veux pas poète et m’en veux ensuite tout aussitôt de ne pas l’être. Je ne veux pas, je m’en veux. Je veux, donc je peux comme je l’écrivais il y a quelque jour. Je me forme une grammaire mécaniquement bien huilée.

Et rien n’y fait. Il suffit que je lève la tête, que j’observe cette luminosité tranquille de la saison des morts pour qu’un grand soupir vienne s’ébruiter dans le vide de mes préoccupations. Je cesse subitement de marcher, je sors mon téléphone si intelligent et je capte en photo l’instant pour le transmettre maintenant ici.

Une rue bien ordinaire, un automne tout ce qu’il y a de plus correct, un matin de plus en plus frais, la même chose qu’hier, une poésie vivante qui ne se comprend qu’en oubliant de la nommer.

Est-ce ainsi que les gens vivent ? Dans ce regret du temps qui passe ? J’ai beau faire, je demeure le même, mon âme fendue, la bouche hagarde, l’air qui me manque toujours et que j’aime, la volonté d’affronter les ultimes mystères.

C’est donc, et ce sera toujours ainsi ma poésie, cette marche, cette foulée, et la reprendre après un hiatus de dix-sept ans, me fait réaliser que je ne suis allé nulle part qu’ici, toujours en moi. Je marche, je marche.

Qu’est-ce qui se trame ? Qu’est-ce qui nous trame ? Je suis toujours aussi surpris d’exister.