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L’ami invisible

9 mars 2013

La nuit s’apprêtait encore à m’accueillir, mais je n’ai pu me résoudre à abandonner tout de suite ma timide conscience, agitée par le film d’action que je venais de visionner, le dernier James Bond, bellement tourné, faiblement écrit, rien pour se détourner de la tradition.

Je ne m’endors pas, parce que je ressens ce mini-regret de ne pas avoir accompli ou obtenu tout ce que je voulais sans pour autant avoir identifié ce qu’aurait dû être le programme de la journée.

Nos jours se déroulent souvent ainsi. Nous croyons posséder les rennes alors que nos étoiles, notre ciel, notre destin subissent les influences et les poussées de rouages complexes, sans nom. Tous ces gestes, mauvaisement inspirés ou adroitement calculés, tous ces désirs, toutes ces erreurs commises pour eux, toutes ces raisons savamment échafaudées, toutes ces certitudes qui ne tiennent pas face à la moindre brise, toutes ces hésitations qui nous rendent poètes, tous ces regrets qui nourrissent nos colères. La paix ne survient pas facilement lorsqu’arrive le temps de s’endormir. Pourtant, nous finissons par fermer les yeux, nous redevenons immobiles afin de laisser au corps le temps de terminer l’arithmétique de ce qui aura été vécu, inconsciemment ou non, le plus souvent d’ailleurs à notre insu.

On dit que l’inconscient ne serait ni le réservoir de nos frustrations ni un animal vivant dans la forêt ancestrale de nos pulsions. Les plus récentes découvertes de la neuroscience nous amènent à penser que le meilleur ami de l’Homme n’est pas son chien, mais son cerveau, que celui-ci est le Grand Filtre, le Grand Ordonnateur, le grand responsable de notre bonheur et de nos aventures (le cerveau est un éternel optimiste qui franchit pour nous les frontières de nos craintes). Nous surfons sur l’incommensurable travail de notre esprit. Notre ego, notre subjectivité, se fait raconter tous les mensonges souhaités, car peu importe ce que l’on croit, il faut laisser à notre corps le soin de mener la barque, sinon nous sombrerions. Ce processus impressionnant n’est certes pas sans failles et il ne faudrait pas simplifier et penser que nous ne serions que des irresponsables, des pantins dans les mains d’une machine biologique opaque.

Il n’en demeure pas moins que s’il faut admirer et prier, ce n’est pas devant Dieu, mais devant l’autel de notre Inconscience. Méditer, puis se laisser aller au jeu de la vie. Nous vivons pour survivre. Nous le découvrons chaque jour, nous raffinons les conclusions de Darwin, nous sommes autant un vaste univers qu’une simple poussière parmi un plus vaste cosmos. Qu’y a-t-il à comprendre de tout cela ? À quoi cela peut-il servir dans notre quête de notre pitance ? Je ne sais trop. Cela m’échappe. Je suis sans voix. Je vais peut-être au-devant de la catastrophe ou au-delà du désespoir. C’est vertigineux.