La vie est étouffante et ennuyante, parfois, tu ne trouves pas?
— Je n’ai rarement sinon jamais cette impression. J’ai certes mes problèmes et mes angoisses. Or, malgré tout le stress que j’ai pu avoir dans ma vie, il me semble avoir toujours eu la force de continuer.
— Tu as le bonheur en toi.
— Peut-être…
— Il y a des jours où cela ne me dérangerait pas de mourir.
— Faut pas.
— Mourir? Allons donc, ce serait plus simple.
— Ce sera plus simple, en effet, un jour, mais pour le moment, je continue.
— Tu vois, tu as le bonheur collé à la peau.
Je souris intérieurement, perplexe. La conversation a lieu sur l’un de ces babillards de rencontre. Je connais l’homme depuis cinq ans environ. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, mais nous avons failli le faire. Nous nous étions donné rendez-vous dans un restaurant. Il n’est jamais venu, s’excusant par la suite d’un pratique « quelque chose d’urgent à faire ».
Cet ami est dans le placard, ce que j’abhorre sans condamner, confortable qu’il est dans sa vie bourgeoise, bien rémunéré par son université, au bord de sa retraite, cherchant la compagnie silencieuse d’hommes alors que sa femme et ses enfants dorment dans d’autres chambres.
Il se sent prisonnier et cela ne sert à rien de le sermonner sur les décisions à prendre, car j’ai autant de poutres dans les yeux que lui. Je peux comprendre son étouffement, mais je ne peux être pour lui ce succédané de bonheur qu’il sucera comme un ours et son miel. Il y a beaucoup de ces rendez-vous manqués, avec des êtres qui ne s’accrochent à vos branches que le temps d’une accidentelle bourrasque. Je suis le premier à croire qu’il faille embrasser beaucoup de crapauds avant de rencontrer son Prince charmant et je peux comprendre qu’on s’accroche à celui trouvé, même sur Internet, même si le conte de fées n’est qu’une mauvaise vérité passée à la moulinette des convenances. Il m’est autant facile de prétendre que je continue avec résilience et simplicité. Je me meus, moi aussi, dans mon petit placard d’incertitudes et, l’âge aidant, je me fais des raisons qui ne tiennent pas nécessairement la route.
J’ai eu, il y a un an, d’étranges pensées suicidaires. En voyant le train de métro arriver en gare, je m’imaginais me précipiter devant. Mon corps me disait de le faire. Cela m’a vraiment troublé, au point de m’amener à réfléchir sur ce que je voulais dans la vie. Je ne crois pas avoir ni le courage ni la conviction de mettre fin à mes jours, car les choses passent et le mystère de mon existence jette sur moi une lumière trop forte pour que je m’en détournasse aussi allègrement.
Je suis de plus en plus ailleurs, il me semble, heureux de ma situation actuelle, même si, à bien des égards, elle est fragile. Je suis en train de sortir du marasme financier dans lequel je me suis embourbé (en fait, je réussis, jusqu’aux dernières nouvelles, à flotter). J’ai de très bons amis et je ne pense pas que je mourrai en solitaire. Je préserve mon bonheur.
Dimanche dernier, j’ai assisté à un baptême agnostique. Le célébrant nous a déclaré, le plus œcuméniquement du monde, que nous provenions de la même lumière. Je la vois quotidiennement cette lumière, et je n’ai pas vraiment besoin de plus amples explications. C’est peut-être que, justement, j’ai ce bonheur naïf en moi. J’ai ces mains pleines d’une certaine innocence. Je ne sais. On pourra dire que j’ai l’âge de m’en foutre, que le jeu, pour moi, n’en vaut plus la chandelle et que, bienheureux je suis de me contenter d’un furtif rayon de soleil.
Je n’ai surtout plus envie de m’encombrer des ombres des autres. Je veux bien participer à leurs passions, connaître et comprendre leurs mouvances, les aider aussi à cheminer, à faire une pause avec eux, emprunter leurs sentiers ou les inviter dans ceux de mes jardins intérieurs, mais pourvu que leurs troubles ne soient pas des leurres de vampire.
J’aime la lumière, je la respire. Je veux vivre.