On me demandait récemment comment je percevais une année. Il s’agissait d’un jeu relaté par une collègue, qui avait amusé sa famille et ses amis. Nous étions quatre ou cinq à répondre et les réponses étaient très variées. Certains voient l’année comme de simples cases dans un calendrier, d’autres la visualisent comme un chemin, un horizon. Ma réponse a été honnêtement circonspecte : je ne la vois pas.
Devant l’étonnement de mes interlocuteurs, j’ai cru bon de préciser que je vivais au jour le jour, que le temps, pour moi, était celui que je vivais et que j’essayais davantage de me représenter le temps comme un cycle.
Je ne suis pas astrologue-poète dans l’âme pour rien. On est passé à une autre réponse que la mienne, car elle ne faisait visiblement pas rire. Si je ne vois pas l’année comme une entité réelle à définir, c’est peut-être parce que j’ai longtemps été immobilisé par la tristesse de la mort à venir. Je ne suis pas certain non plus d’avoir outrepassé cette douleur première.
Le seul refuge fut pour moi de comprendre les cycles, de regarder ce jour écraser le précédent, de voir dans le jour prochain le germe d’un arbre qui, pourtant lui aussi, finira par se faire abattre par la foudre.
Cela n’est nullement pessimiste. La sagesse commence sans doute par une bonne dose de résignation qui nous oblige à savourer la semence d’un jour sans cesse renouvelé.
L’année n’a plus de sens quand, par exemple, on comprend que Saturne, Chronos en grec, le fomentateur du temps, accompagne plus ou moins le cycle humain. Notre espèce est conscience de ce dieu lointain. Sa réalité nous est rappelée comme si la vie était un longue promenade sous une pluie de briques, pour paraphraser Boucar Diouf.
Dernièrement, une amie a perdu sa mère. Dans sa carte du ciel, Saturne touchait entre autres choses un point sensible, un pont, une liaison, signifiant par là une coupure, une étape.
Les cycles sont partout, mélangés, en entrefilets entre eux, résonnant jusqu’aux profondeurs quantiques. L’univers vibre de lui-même et sa profonde insouciance envers notre destin se résume à ce que ne nous sommes en soi que la réverbération de son existence.
À quoi bon alors penser l’année ? Ne sommes-nous pas faits pour vivre avec la feu directeur de nos passions, de nos ronds dans l’eau ?