À minuit, mes yeux fixent les ombres projetées contre le mur par le réverbère d’en face. Deux heures plus tôt, je m’étais pourtant endormi rapidement, mais la houle de mes pensées ou la tectonique d’une digestion lente, sans doute les deux à la fois, ont vite raison du sommeil qui, en bon infidèle, change de lit au moindre ennui.
J’ai des idées plein la tête, je m’efforce à canaliser ma respiration, à gravir au moyen d’écluses hâtivement conçues, un continent d’inutiles réflexions. Peine perdue, les ombres m’invitent. Je me lève, va dans le bureau chercher caméra et trépied, installe le tout, ouvre trois fois la lumière du plafond, qui détruit l’ambiance, mais je n’y vois rien et il me faut bien régler l’appareil.
Je n’ai pas mes lunettes, et mon objectif a depuis quelque temps du mal à faire lui-même la mise au point. Il faudra que je fasse enquête, mais pas ce soir. Tant pis, il fait nuit, je dois m’agiter comme on secoue et déplie des draps avant de s’y recoucher. Je prends quelques clichés, le temps de pause sera long, je n’active aucun flash. La photo sera forcément floue. Aucune importance, je sais qu’une fois consommé, le geste me lassera tranquille, qu’une fois assouvie, l’heure m’abandonnera aux rêves.
Cela réussit. Je me lève huit heures plus tard, je prends mon petit déjeuner, je lis les journaux électroniques, va sous la douche, m’assieds dans mon lit, à l’indienne, cale les oreillers. Le calme, encore une fois, comme ces ombres de la nuit passée. Je regarde par la fenêtre, l’arbre d’en face ressemble soudain à un homme qui soulève des branches mortes.
Je dors peut-être encore. Il ne faut jamais croire le sommeil.