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Le sourire sans sourire du Bouddha

20 novembre 2011

J’ai encore rêvé. Ces jours-ci, il semble que mon cerveau absorbe beaucoup de données et comme sa digestion est lente, il les remâche des nuits durant. Et ce matin, en me réveillant, tout d’abord le sourire très triste d’un Bouddha que mon esprit a diligemment corrigé.

J’ai donc encore rêvé, j’ai donc encore manipulé la réalité. Et je ne pense maintenant qu’à ce Bouddha qui a bien compris qu’il ne fallait pas être triste sans être pour autant hilare. La neutralité a toujours meilleur goût puisqu’elle résiste aux illusions, mais en laissant tout de même parler le cœur.

Ce qui m’amène à parler de vendredi. Mes amis du rez-de-chaussée et moi avons écouté un reportage sur une île du Pacifique luttant pour sa survie. D’un côté, il y avait ces vieillards qui s’en tenaient à leurs traditions maintes fois prouvées, mais aussi douloureusement éprouvées, bafouées et surtout défiées. De l’autre côté, il y avait leurs fils résolus à changer le cours des choses en installant, par exemple, des moteurs à leurs bateaux afin de pouvoir pêcher plus loin, puisque le poisson ne vient plus près des côtes. Il faut dire qu’auparavant, dans un passé pourtant assez jeune, les baleines venaient se balader autour de leur île et les vieux, de leurs seules rames et harpons, réussissaient à nourrir le village. Ce petit peuple, les lamaholots, vit sur une île ingrate (Lamalera), mais leur ténacité, bien humaine, les a solidement ancrés sur cette terre. Leurs ancêtres ont longtemps erré d’île en île, et eux, depuis quelques générations, avaient enfin trouvé l’équilibre précaire d’un peuple à la vie simple.

Maintenant, les vieux sont tristes, car leurs harpons n’attrapent plus rien, d’autant que les habitants des autres îles ont pêché effrontément avec de la dynamite, ce qui a apeuré et tué tous les poissons. Mais les jeunes, avec leurs rudimentaires moteurs, demeurent confiants, d’autant que les dynamiteurs ont été punis. Les poissons, eux, n’ont plus confiance et il faut pêcher autre chose : des dauphins, des raies et d’autres poissons fragiles.

Rien n’est donc acquis, puisque la région est également appelée à devenir une zone écologique protégée (on s’en doute bien, ce sont les gens du Nord, dans leurs grandes villes et universités, qui en ont décidé ainsi, furieux et inquiets de voir les dauphins ainsi chassés et les raies décimées, même si les habitants, peu nombreux, ne prennent de l’océan que ce qu’il faut pour se nourrir. Il semble que ce soit déjà trop pour l’écosystème du lieu.

Voilà pourquoi, entre autres choses, — je ne dis pas encore tout de ma vie — mon Bouddha a de la difficulté à demeurer impassible. Mon Bouddha boude, pourrait-on dire. La réalité semble toujours préférer les démons aux bonnes intentions. Il faut constamment lutter, patiemment solidifier la digue menacée par les trop forts embruns.

Ce qui m’amène à parler de cet autre reportage, vu il y a quelques semaines d’un homme et de sa cabane, sise sur un banc de sable et que la mer menace d’engloutir au moment des grandes marées...

Mais je m’arrête ici. Les histoires sont sans fin. Je semble toutes les voir en relevant un peu la commissure des lèvres, en ne boudant pas mon plaisir de vivre et d’observer.