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Le temps

2 juillet 2016

Le temps est un lièvre qui, de ses grandes oreilles, entend tous les bruits de l’existence. Lorsqu’un humain s’approche, il s’enfuit toutes pattes tendues.

Le temps est un escargot dur de la feuille, qui n’écoute personne, passe son chemin, toujours dans cette direction sans écueil, confiant de sa route, il semble n’en avoir qu’une tant la route est lente et mesurée.

Le temps est un amant dont la peau est la quatrième dimension de l’univers, pour qui l’on prie, l’on salive, l’on blasphème et jure toutes les promesses.

Le temps est un forgeron dont le bras martèle notre échine, nous enrégimente sur cette clôture d’ossuaires plantée par on ne sait quel monstre divin autour de son royaume désert.

Le temps s’allonge quand on est mort, le temps passe trop vite quand on s’enflamme. Il est le marionnettiste suspendant ses momies et ses clowns. Il allume les feux autour desquels dansent les ombres. Il n’est rien d’autre que cette pellicule enivrante d’images, de gestes, de bravoures et de méchancetés.

Le temps est la mélodie sortant des gorges, le rythme issu des pieds marcheurs, des pieds danseurs ou guerriers. Il est la main droite de l’oubli, la main gauche de l’espoir, élastique chez les quantas, gravides parmi les planètes, si lancinants au voisinage des galaxies.

Quoi dire de plus? Quoi fantasmer? On peut tout inventer puisque le temps est notre Dieu, notre ignorance.

C’est ainsi que nous sommes libres, soumis au temps, aux saisons, forgés en glaives ou en pioches, travailleurs et travailleuses, syndiqués ou esclaves, heureux quand nous jouissons, quand nous nous innocentons, peureux quand nous nous éveillons, un temps. Un temps? Pouvons-nous vraiment le compter?

Moi, moi, moi, dont la cervelle virevolte sous son crâne, je me suis immobilisé un moment, fatigué, étourdi, vieilli pendant que la foule des jeunes autour scandait toujours les mêmes insignifiantes rêveries. J’ai posé un genou au sol, exténué. Le temps parut amusé, s’est appuyé contre moi pour me faire sentir tout son poids. Je fus tenté de me laisser choir afin qu’il m’écrase, m’enlève l’air de ma conscience. Cela paraissait facile, comme une noyade durant laquelle les poumons troquent leur air par l’eau comme s’il s’agissait d’une passation naturelle, sans douleur. Comme dans un long rêve, encore une spécialité du temps.

Mais je suis demeuré à genou, ai repris mon souffle. Les jours ont passé. Je ne les ai peut-être pas comptés, mais j’ai tout de même observé le soleil naître et mourir, la lune devenir blanche puis noire. Le temps, toujours appuyé contre mon dos, s’était peut-être endormi. Au fil des jours, il parut plus léger. Une feuille morte, une prière brumeuse.

J’ai fini par me relever, certes ébranlé, insatisfait, envieux. Le paysage avait changé. Je ne voyais plus que des peuples au loin, des fourmis et des abeilles. J’ai respiré à fond. Le temps me lâcha la main, me donna même des ailes qu’il accrocha à mes yeux.

Maintenant que je relis ce texte, je ne sais plus pourquoi je l’ai commencé. Où vis-je ou vais-je si je ne puis être cette Norvège? Doit-on tenter de répondre? Le temps arrange tellement bien les choses.