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L’océan où nous chantons

26 septembre 2012

Répétition difficile, hier soir, à Ganymède. Nous entamons un marathon d’apprentissage d’une œuvre clé du répertoire choral masculin, la Symphonie no 13, de Chostakovitch. Nous avons douze semaines pour nous approprier cette œuvre. La difficulté réside dans la langue chantée, à savoir le russe. Je crois que le directeur veut trop bien faire en nous préparant la transcription phonétique, mais je crois que cela intellectualise beaucoup l’approche. L’IPA (voir Wikipedia) n’est pas du russe, mais c’est tout comme. Pour le moment, nous ne faisons pas de la musique, nous scandons des mots. Toujours est-il que nous y parviendrons, bien évidemment, d’autant que nous ne chanterons pas seuls, puisque nous nous joignons au chœur des étudiants en musique de l’Université McGill. Nous serons donc plus de cent chanteurs à baragouiner le russe. Alors, on repassera pour les subtilités phoniques...

L’ambiance de répétition est ainsi marquée par un apprentissage assez intellectuel, ce qui barre la route à l’émotivité et à l’expressivité. C’est une étape certes obligée, mais épuisante. Comme le souligne Alfred Tomatis, dans son livre L’Oreille et la voix, on chante avec son oreille, nous baignons dans un océan de sons que le cerveau cherche à réguler. L’ambiance sonore d’un endroit, les sons qui émanent tant de la structure que des êtres qui s’y meuvent, affectent notre oreille et par ce fait notre bien-être. Dans une chambre anéchoïque (voir Wikipedia), où il n’y a pas d’écho, l’être humain ne peut chanter, car dépourvu de son air sonore qui l’aide littéralement à nager dans son univers. Le cerveau qui a besoin de stimulation constante se perd totalement et l’angoisse de ne plus être surgit.

Nous vivons donc à travers les rythmes et notre oreille est là pour déchiffrer cette partition musicale de la vie. Il ne s’agit pas d’un lyrisme gratuit, mais d’une réalité quotidienne. Le chant fait ainsi partie de cette régulation de nos vies. De même, rarement la danse se privera de musique, jamais le cerveau, par l’oreille, n’aura de cesse de nous demander de l’information. Nous chantons, nous rythmons tout. Il semblerait que la qualité de notre épiderme est directement influencée par l’univers sonore qui nous habite et nous entoure. Notre peau est un tambour. Nous sommes de bonne humeur, le chant s’élève, nous sommes tristes, les notes s’allongent. Nous lançons nos appels dans la jungle d’un univers plus bruyant que nous.

Il n’est pas étonnant alors de se frapper à des écueils comme hier soir, à la chorale. Le sous-sol où nous répétons n’est déjà pas propice au chant. Les gars étaient probablement fatigués de leur journée, et l’effort d’apprentissage de la langue russe, qui occupa l’essentiel de la répétition, ne faisait pas appel à la musicalité. Ajoutons les thèmes abordés : le sang, la violence barbare décrite tant chez Chostakovitch que chez Weill (car nous apprenons en même temps le Requiem berlinois). La saison musicale de Ganymède est costaude, loin des maniérismes classiques. Il semble plus difficile d’aller chercher son air.

Heureusement pour moi, il y a le cours de chant. J’y suis presque comme dans un confessionnal. Vincent ne m’a-t-il pas dit, la semaine dernière, que j’avais du mal avec les sons graves, mais que cela me « regardait », en ce sens que cela impliquait sans doute des problèmes non résolus. N’ai-je pas parfois l’envie soudaine de pleurer quand il me demande de chanter vers l’extase ?

J’évolue lentement, sans doute sûrement. Hier, j’étais moi aussi fatigué, et je n’avais pas autant d’aisance à chanter avec le chœur. Un sentiment triste qui ne fut pas aidé par les dires d’un choriste, après la répétition, qui avoua qu’il détestait le répertoire choisi. Tout semblait contrer mes efforts de me libérer. Mais me libérer de quoi ? Je ne sais, puisque je suis en quête.

Nous chantons pour nous relier à l’univers. C’est un acte animal et religieux. À voir danser et chanter les artistes de la vidéo ci-dessous, on comprend tout le sens apporté à cette déclaration.