en

L’univers en trois livres

19 octobre 2020

Durant mes courtes vacances, je me suis penché sur trois livres traitant du même sujet. Je suis depuis longtemps fasciné par les découvertes sur l’univers. Si je n’avais pas eu cet esprit flou du poète, je me serais sans doute lancé dans plein de trucs scientifiques, notamment la physique. Pourquoi ne l’ai-je pas fait serait davantage le sujet d’une psychanalyse dont la conclusion dépasserait ma finalité.

Quoi qu’il en soit, j’ai lu ces livres pour ainsi dire à l’envers, commençant par le plus complexe et terminant par le plus simple.

  1. Until the End of Time, Mind, Matter, and the Search for Meaning in an Evolving Universe, Brian Greene
  2. The Work According to Physics, Jim Al-Khalili
  3. Seven Brief Lessons on Physics, Carlo Rovelli

Le propos de Until de End of Time commence d’emblée par un constat quasi philosophique, même s’il est en parfait accord avec la « réalité » telle que nous la connaissons : In the fullness of time all that lives will die. Autrement dit, nous mourrons tous, tout meurt, tout replonge dans l’équilibre du désordre. Professeur de physique et de mathématiques, l’auteur nous l’explique en 326 pages, non pas dans une glose philosophique, mais en nous décrivant le parcours des découvertes relatives à l’univers et les considérations philosophiques, existentielles qui peuvent en découler (qu’est-ce que la vie, par exemple?).

C’est parfois dense, toujours très bien écrit – après tout, c’est un auteur à succès –. Le livre nous amène à comprendre les extraordinaires découvertes relatives à notre compréhension de l’univers ainsi qu’il nous fait entrevoir l’immense chemin qu’il reste à la science pour posséder la vérité sur ce sujet.

Tout comme pour les deux autres livres, la conclusion est la même : plus on avance et plus on semble reculer ou plutôt se buter à d’autres questions.

Le second livre est un meilleur condensé, à mon avis, de l’état de cette science. The World According to Physics est autant dépourvu d’équations complexes que l’est le précédent ouvrage. Son but est d’expliquer à des gens, comme vous et moi, les merveilles de l’univers, ce que nous en comprenons à tout le moins à travers la lorgnette de la physique. Ce livre était un vrai charme à lire.

Le troisième livre est encore plus court. Seven Brief Lessons on Physics regroupe des articles d’une chronique de journal. C’est pour ainsi dire un résumé de résumés. Il pourra paraître superficiel après les lectures plus exhaustives, mais s’il est un livre pour l’expliquer à sa mère, c’est bien celui-là! Sauf exception de quelques phrases troublantes du genre :

The heat of black holes is like the Rosetta Stone of physics, written in a combination of three languages – Quantum, Gravitational and Thermodynamic – still awaiting decipherment in order to reveal the true nature of time.

La chaleur des trous noirs est comme la pierre de Rosette de la physique, écrite dans une combinaison de trois langages – quantique, gravitationnel et thermodynamique – qui attendent encore d’être déchiffrés afin de révéler la vraie nature du temps.

Pas étonnant qu’on en perde autant son latin que son anglais ou sa respiration.

Dans chacun de ces trois livres, j’ai tout de même appris des choses diverses. Ils ne peuvent donc être réduits l’un dans l’autre même s’ils se recoupent.

Tentons tout de même l’exercice :

  • D’un côté, il y eut une première avancée importante, notamment avec le coup de pouce d’Einstein (mais il n’est vraiment pas le seul ni le premier). Une simple équation aura permis l’aventure d’une compréhension étonnante de l’infiniment grand. On a fait des pas de géants dans la compréhension du mécanisme de la gravité (la fameuse pomme de Newton n’expliquait vraiment pas tout). S’est ouvert devant nous le monde de l’espace-temps, du Big Bang, des mondes peut-être parallèles ou plutôt des multivers (multi-univers). Dans ces théories, l’univers est courbe, le temps élastique et la vision du monde est relève d’un trip de LSD parfois. Ces découvertes ont énormément inspiré les auteurs de science-fiction, mais aussi les avancées technologiques.
  • De l’autre côté, la découverte du quanta (hypothèse de Plank), que la lumière est faite de petites quantités. C’est alors l’aventure dans l’immensément petit, et les résultats de ces considérations nous ont conduits, entre autres choses, au téléphone intelligent, aux ordinateurs, à l’incertitude aussi puisque tout devient probabilité. C’est dans l’univers de l’infiniment petit que l’étude du cerveau plonge avec ces gros appareils issus de la première avancée gravitationnelle et thermodynamique. C’est l’univers du minuscule qui attire les chercheurs de la conscience. L’univers, selon cette théorie, est plat en quelque sorte. Méchante contradiction.
  • Ainsi, entre les deux théories, la gravitationnelle et la quantique, un grand mur opaque. La danse des équations de l’une ne va pas au même rythme que l’autre, se contredit. Les deux explications de l’univers, quoique logiques, efficaces, donnant des résultats concrets tant en science que dans notre quotidien, ne peuvent fusionner tant elles apparaissent incompatibles.
  • Par dessus le marché, plus de 90% de la matière nous est étrangère, ne peut être observée. Il s’agit de la dark matter (rien à voir avec Darth Father) et sa compagne, la dark energy (aucun rapport avec la Death Star.

La science physique en est donc rendue là, à tenter de coller ces deux géantes explications de l’univers en une seule grande théorie. On n’y parvient tout simplement pas. Pas encore et bien des physiciens se contentent déjà de vivre tant bien que mal avec ces côtés de la réalité alors que d’autres, plus obstinés, préfèrent poursuivre l’aventure incertaine. Leurs tentatives insufflent plus de complexité pour que cela soit élégant comme le sont les théories contradictoires. La science est en constante recherche de simplicité. Il en va de même de la nature qui, après avoir emprunté de nombreuses avenues, en parvient à des stades de simplicité. Ne pensez qu’à vos doigts qui tapent sur un clavier et tenter d’en comprendre tous les mouvements et la coordination.

Mes premiers contacts avec la physique remontent à la vogue des livres pseudo-ésotériques tel The Tao of Physics. La tentation était grande, en effet, d’effectuer des raccourcis, de fusionner philosophie pour la simple et bonne raison que les réponses, les certitudes n’arrivent toujours pas. Ces tentations ont leur utilité aussi. L’imaginaire est le meilleur terreau pour la découverte.

Face aux imperfections des conclusions, il faut se dire que le chemin emprunté par la science ne doit pas être si faux puisqu’il nous apporte tant de bienfaits. Nous sommes à une époque où on entrevoit les fondements de la vie à travers de belles équations. Notre réalité, notre pauvre entendement des choses, celui qui ne dépasse pas nos doigts et nos neurones, a bien du mal à se faire à l’univers de science-fiction de la physique, de la neuroscience. Qu’est-ce que la vie? Qu’est-ce que la conscience? Qu’est-ce que le commencement du monde? Ce sont là des questions qui ont nourri tant les textes sacrés que les tomes de générations sans cesse renouvelées de philosophes et de croyants.

Ces questions rejoignent tant soit peu celles de la science et si celle-ci accepte maintenant d’en faire les siennes, c’est à une seule condition : c’est que le tout soit vérifiable et, de surcroît, falsifiable, à savoir que toute théorie peut être contredite par les faits. Un jour ou l’autre, même si, entretemps, on peut jouir des certitudes et avancées qui en résulte. Il faut cependant faire face à la musique. Nos questionnements ne sont pas prêts d’être assouvis.

Or, la race humaine entière, impatiente, semble plus portée à reculer, à vouloir demeurer dans le confort d’anciens rites et dans l’ivresse du sang qu’elle peut faire couleur par les seules armes des mythes. Nous faisons face au retour d’un intégrisme à multifacettes, un retour en des rituels qui ont souvent généré plus de sang que de fécondité. Il s’agit là d’un triste réflexe, qui manque de courage.

Comprendre la réalité et les interrogations que la science suscite n’est certes pas donné à tout le monde. Ces trois livres sont tout de même la preuve que les scientifiques se croient de plus en responsables, obligés de tenter une vulgarisation en bonne et due forme.

C’est une noble tâche, quasi messianique. Il faudrait que les artistes s’emparent de ces explications, qu’ils en fassent bon usage. Encore faut-il qu’ils puissent unir leurs inspirations à ces théories. Encore faut-il qu’ils puissent avoir l’intelligence de le faire et qu’ils cessent de s’occuper de leur ego.

Bien entendu, il n’est pas nécessaire de connaître tout ça pour bien vivre sa vie. On peut faire des chansons, écrire des romans, peindre des tableaux, faire des bébés, danser, élever une famille et mourir tout à fait en paix.

Il serait cependant impératif que les gens soient peu à peu éduqués à relativiser tant leur existence que leurs certitudes. Les physiciens ont parfois des orgasmes spirituels parce que la réalité qu’ils imaginent dépasse la valeur de leur propre vie. La lecture de ces trois livres suggère aussi que ces physiciens attendent en quelque sorte le prochain Einstein, Plank, Maxwell, et combien d’autres…

La science n’a pas réponse à tout, certes, mais à tout le moins, elle ose les explications et les remises en question. Son entêtement devrait être pour chacun de nous un exemple de lucidité et d’humilité.

À lire donc, à tout le moins l’opuscule de Rovelli.