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L’oeil-oreille

20 août 2016

Le soleil, ce matin-là, luttait contre des algues nuageuses. Le vent s’était levé durant la nuit et, après quelques jours chauds, trop humides, la fraîcheur était bienvenue. Les passants ne semblaient pas s’en rendre compte ni les automobilistes sur la 40 qui, à la vitesse qu’ils allaient, ne se souvenaient certes pas qu’il y a à peine deux semaines un camion-citerne avait explosé sur cette route, faisant un mort. Personne n’en avait cure. Leur vie continuait.

C’était mon premier jour de retour au travail. On annonçait un déluge en fin d’après-midi. Pour le moment, rien n’y paraissait sauf la subtile lumière diffusée dans cette ouate grise qui n’arrivait pas à assécher le ciel. Je n’étais pas enclin à prendre le métro et, puisque j’avais peu bougé durant mes vacances, cloué à mon lit, j’avais envie de ralentir mon pas que j’ai déjà lent. J’étais heureux de pouvoir marcher, être enfin d’aplomb après avoir combattu un intrus — un virus ? une bactérie ? je ne le saurai jamais. Qu’importe, je voulais allonger ce matin. Je suis rarement pressé. Mon meilleur ami est toujours à quatre pas devant moi quand nous marchons ensemble. Il m’essouffle tellement ses jambes sont vivantes.

Ce soleil dans ses pensées paraissait annoncer l’automne. Nous en sommes déjà aux derniers jours d’août. Le temps aura toujours les coudées franches. Il ne se fatigue jamais. De mon côté, l’appétit est revenu, mais il n’est pas avide. La soif est là, mais boude l’alcool. Les soirées sont jeunes, mais je fais peu de projets. J’ai maigri un peu trop rapidement. J’imagine que, les forces revenant, le ventre demandera son dû. Je me sens moine, seul, frugal.

Tout au long de la semaine, j’ai un peu retenu mon souffle, prenant plaisir à ne pas être intelligent. J’ai certes travaillé, souri, débogué ceci, cela, mais sans plus, tout en confortable grisaille. Tel un arbre humant la saison, mon œil a pris acte des subtils changements de teintes dans les arbres, dans la lumière tardive et aussi dans l’écho de mes pensées caverneuses. Un arbre, ça ne bouge pas, il fait aller ainsi ses branches comme s’il voulait nourrir ses rêves. J’ai un peu chanté, avec une drôle de voix, je suis allé voir mon médecin qui, étonnamment, était à l’heure pour mon rendez-vous. Je n’ai rien de vraiment dramatique, semble-t-il. Il m’a prescrit non pas des somnifères, mais un antiacide. Mon estomac est lourd. Que des petits malaises d’un gars qui aime se plaindre.

Ce texte est difficile à écrire, car il ne va pas où je voulais l’emmener. Il semble vouloir se censurer de lui-même.

Bientôt ce sera l’automne et ses odeurs si magnifiquement végétales. Et moi, et vous ? Quelles sont les couleurs de votre saison ? J’ai soif d’entendre les gens. Je suis un œil-oreille qui s’inquiète un peu du silence de l’hiver.