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On ne t’écoute pas, poète

1 novembre 2013

Tu vois, poète ? On semble avoir fait silence autour de toi. Non pas pour t’entendre, mais bien parce qu’on préfère t’ignorer. Tes paroles sont peut-être justes mais elles sont aussi trop vagues, n’apportent rien à la vision de leurs yeux. Tu arbores une tête de cheval et ils n’y voient qu’un masque ou une drôlerie. Or toi, le poète, tu as dans ta tête le sentiment de posséder une crinière, de frapper le sol de tes quatre sabots et de courir, le vent nourrissant tes naseaux.

On accepte parfois de t’écouter, de te regarder. Pour ce faire, il te faut habituellement emprunter les sentiers battus, te donner des airs connus, faire dans le classique de la parole, la sobriété du geste. Mais, bien entendu, on t’accorde peu de temps. Tu sembles n’exister que pour adoucir les mœurs lorsqu’elles sont déjà ivres, crever l’abcès quand il est si purulent que la peau se détache d’elle-même. L’odeur est forte, alors t’est-il permis de faire du théâtre avec la tragédie qui accable les malades.

Ne te fais pas d’illusions, poète. Ces gens nauséeux ont raison bien souvent plus que tu ne le penses. Toi, tu es le fou, la pensée expérimentale. Tu ne peux mettre du beurre sur le pain. Tu ne peux nourrir l’âme, car c’est une anorexique. Elle gobe tout ce qu’elle peut pour ensuite aller se faire vomir. Elle se croit si belle, orgueilleuse et violente.

Mais va, poète, poursuis ton chemin, reste ce que tu es. Tu fais partie de l’expérience, tu n’as pas été inventé pour rien, semble-t-il.

Tu te sens tout de même si seul. Tu possèdes ces antennes que tous voudraient bien avoir. C’est peut-être parce que ta vérité ne peut être entendue. Je soupçonne que ce n’est pas une vérité, ce n’est qu’une course folle, équestre, burlesque. À quoi sert-elle ? je me le demande.

Je la devine quantique, tramée dans l’une de ces dimensions que ni l’espace ni le temps ne peuvent appréhender. Tu possèdes ton bonheur, mon cher poète, et il mourra avec toi. De toute façon, notre vie meurt avec nous. Peut-être, je dis bien peut-être, lorsque nous mourrons, recevons-nous, nous aussi, une tête de cheval en guise d’éternité.

Peut-être.

J’aime bien cette expression. Elle ressemble à un canif capable d’égratigner la plus obstinée des surfaces.