Il fallait bien un titre symétrique juste pour le plaisir d’oser. C’est ce que je dois faire constamment durant mes cours de chant. Après avoir quelque peu apprivoisé les sons graves, moi le chuchoteur, le murmureur, voilà que mon professeur m’enjoint d’attaquer les la bémol, la, si bémol, etc. Il semble savoir où il s’en va et je me laisse peureusement mener.
On découvre plein de trucs là-haut, en commençant par ce constat de peur devant ce qui nous semble inaccessible. La gorge se tait, s’amenuise et Vincent m’oblige patiemment à ne pas juger ce qui sort. Je lui réponds que j’ai l’impression de devoir solliciter le bas des « reins » et ancrer le sternum, que ça me semble très physique, au-delà de la musique, et lui d’expliquer qu’il y a effectivement une tension qui s’exerce chez le chanteur masculin quand il chante haut. Il ne faut certes pas coincer la gorge ; elle, elle doit faire ce qu’on lui demande et elle est en est capable. Du moins, j’en suis capable sauf si je me sers d’elle pour propulser la note. Alors, c’est la cata, le couac assuré. La voix est là, il y a du cri dans la chant haut du chanteur masculin. Ni plus ni moins.
Vincent m’explique aussi qu’on a l’impression, quand on chante des notes hautes, que le tube est mince dans la tête et que ça ne sonne pas nécessairement beau à ses propres oreilles. Bref, on a un peu le vertige, et on a chaud. Et il faut chanter, bon sang ! Laisser aller la voix. La douceur d’un chant ne se crée pas en glosant doux, mais plutôt en laissant aller glisser son cœur et ses émotions. C’est un peu comme conduire une goélette, toutes voiles ouvertes, à mettre ses bras en croix comme la fille du gros bateau, et de vouloir être heureux. Bêtement ça, vouloir être heureux.
Je ne veux pas rabattre cela constamment, mais il est vrai que chanter dans une chorale t’enjoint habituellement à faire le contraire, à te fondre au décor, à détruire ton égo, à penser toujours aux autres, à chanter surtout en voix de tête et à te fondre aux voix les plus faibles. J’ai donc le réflexe du choriste quand je suis avec mon professeur, et l’adrénaline du soliste quand je suis dans un chœur. On, off.
J’ai encore bien des croutes à manger avant d’être confortable dans ces régions estivales de la voix de ténor. J’ai toutefois le sentiment que je ne trouverai jamais ma place au sein d’un chœur et qu’il faudrait peut-être que j’en reste à ma voix de baryton quand je chante parmi un groupe. Au moins, là, je suis un genre de ciment sonore. En voix plus haute, même si ma voix n’est pas de cette force qui fait tremper les aisselles des spectateurs, je perce tout de même tout de suite. Vincent me dirait que ce sont les autres choristes qui devraient me suivre, pas le contraire. (grande pause où la réflexion se mélange à une incapacité de répondre)
Déjà, je sais, on me le dit au chœur, ma voix se fait entendre davantage. Cela intrigue des choristes, car ils perçoivent le résultat de mes efforts. J’aimerais tant, même s’ils sont vieux, à la retraite, jeunes et affairés, qu’ils investissent comme moi dans cette aventure.
Il s’agit en effet d’un investissement. Un cours privé, une fois par semaine, ça plombe un budget. Dommage que notre belle société d’illettrés québécois ne voit pas l’importance d’investir dans l’art, dans les hauteurs, dans le sublime.
M’enfin, j’aurai au moins vécu en tremblotant un peu de la voix. Je reste modeste, je suis tout de même vieux, je deviendrai célèbre avec Les Mailles sanguines, et j’aurai acquis quelques lettres de noblesse avant de m’éteindre.
On peut toujours rêver, puisque c’est ça qui nous permet de nous envoler dans les hauteurs.