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Près de lui

24 juillet 2023

Voilà six mois qu’il est parti, mon père. Je pense encore à lui, me dis depuis tout ce temps qu’il me fallait raconter ses derniers moments, mais je n’y parviens pas vraiment.

Est-il nécessaire de le faire? La mort n’est pas en soi un événement, il n’y rien d’original en elle; cela a été glosé maintes et maintes fois. La mort ne se raconte pas, c’est ce qui se trame dans sa périphérie qui colore l’univers éternel et trace notre future absence.

Papa est demeuré mystérieux durant les derniers mois de sa vie. Il était rendu là, comme il disait. Maman regrette qu’il n’ait pas plus parlé que ça. Il était ainsi, mon père, possédait une sagesse ou une maladresse, un rêve et sans doute quelques fantasmes qu’il ne divulguait à personne.

Il était près de nous. Il nous écoutait, demeurait amoureux et seul. Je me souviens du moment où j’étais assis près de lui, le reste de la famille se reposait à la cuisine. Je lui caressais le front. Il respirait fort, la bouche grande ouverte comme un poissons avalant son air. Je me suis mis à chantonner une berceuse, poussé par une volonté filiale, mais inutile, de le réconforter.

Il eut un tic nerveux de la tête me signifiant mécaniquement que cela l’agaçait plus qu’autre chose. Il était en train de mourir. Je me suis mis à pleurer, enlevant ma main, incapable de continuer ma ritournelle.

On ne sait pas ce que l’on pleure quand on est près de la mort. On est plutôt calme en fait.

Papa ne l’était pas toujours malgré les drogues qu’on lui administrait. Pourtant si maigre, il était étonnamment puissant. Obstiné et fort dans ses moindres recoins. Mes soeurs eurent du mal parfois à le contenir. Je me suis aperçu de rien à ce moment, car c’était mon tour de dormir.

Cette nuit-là, avant l’épisode de la berceuse, je l’avais veillé, c’était mon tour. On n’entendait que son souffle; je me préoccupais du mien. Papa allait mourir; il trouvait cela long, avait-il dit à une de mes soeurs dans un moment de conscience.

Ce sont ces temps d’éveil qui m’ont le plus impressionnés. Chaque fois qu’il émergeait, il disait ceci, cela, nous bouleversait tout en nous faisant rire ou pleurer. Nous nagions dans une mer d’inconnus.

Et puis, il y eut deux moments essentiels lors du processus de l’aide médicale à mourir où la personne doit confirmer que c’est ce qu’elle désire. La certitude qu’il eut, toutes pensées en éveil, qu’il fallait que cela cesse pour ensuite se rendormir.

Il y eut de la beauté de l’acceptation, par tous. Nous en étions rendus là avec lui, et c’était bien ainsi. S’il est une délivrance, elle réside dans ce rappel de l’inéluctable, que ce qui est en nous doit être passé au suivant et que notre marche n’est qu’un petit pas d’un voyage dont on ne connait ni le début ni la fin.

La mort n’arrête pas les vivants, elle ressemble à la marée qui sculpte les plages. Elle est l’eau qui forge les falaises. Elle est l’ombre qui se forme derrière nous pendant qu’on savoure la lumière du soleil.

Ce fut un privilège d’être là pour les derniers instants de papa. Je peux comprendre ceux et celles qui n’ont pas la chance de faire leurs adieux. Les guerres, les accidents, les catastrophes déchirant les existences.

Nous avons été encore une fois privilégiés. Nous avons nos problèmes et nos faiblesses, mais notre famille profile d’un sol fertile et généreux. Cela continue avec les enfants de mes soeurs. Et pour moi, cela se poursuit dans le réflexe urgent de taper sur un clavier.

On ne peut dire non à la vie. Elle est la définition même de la mort.