J’ai eu soudain l’envie de m’acheter des écouteurs. Je vais au bureau le plus souvent à pied et ma marche est silencieuse, observante ou totalement aveuglée par des pensées diverses.
J’écoutais énormément de musique étant plus jeune, longtemps scotché à Radio-Canada Classique. J’achetais des vinyles, je m’autorisais des explorations dans des univers ésotérico-humanistes tels Meredith Monk ou Laurie Anderson. Je me suis lancé à fond dans le Nouvel Âge mais aussi dans l’univers quasi préhistorique et hachuré des compositions médiévales.
Très peu pour moi les chansons populaires, le rock, même si j’étais fan des opéras des années 70 et 80.
Avec les années, mon intérêt musical s’était porté sur des compositions planantes, simples. Un voisin n’aime pas l’atmosphère qui règne chez moi quand il entend ce genre de musique. Il la trouve pessimiste.
En moi, pourtant, mes pensées se dissolvent et s’apaisent, mon coeur marche tranquillement dans une cathédrale abandonnée et sans certitudes. Cela me fait du bien.
Il n’empêche. J’ai réalisé récemment que la musique était presque absente de mon quotidien, un peu comme cette écriture qui ne sert qu’en des moments propices, pour ainsi dire inutiles, même s’il est marqué dans mon ciel que je vibre à la beauté du monde et à l’urgence de le décrire.
Ces petits écouteurs sont évidemment une merveille. La technologie évolue de manière exponentielle, ce qui nous incite à épouser une obsolescence assumée. Que sera le son émis dans quelques années? Un simple toucher à une des oreillettes et le son ambiant disparaît. Miracle. On se croit aussitôt devant un film muet, mais en couleurs. Privé des oreilles, les yeux s’allument et observent davantage.
M’isoler n’est pas en soi un objectif, ni une nécessité. C’est comme pour les lunettes. J’ai toujours détesté porter des verres fumés ou qui se teintent automatiquement, comme s’il y avait là affront aux sens premiers. M’entourer des bruits citadins n’a jamais été inconfortable pour moi, sauf pour les sirènes tonitruantes des camions d’incendie ou des ambulances.
Toujours est-il que j’ai soudain soif de musique et ces écouteurs offrent dorénavant une justesse et un confort d’audition sans précédent.
J’ai marché ce vendredi en compagnie de Voices8, un ensemble vocal quasiment trop parfait. Je suis devenu aussitôt moine, lent, bercé par l’appel de sirènes caverneuse et personnelles.
J’ai traversé les quelques quartiers qui me séparent de mon lieu de travail. Le temps défila très vite. Comme j’étais parti assez tôt, je me suis retrouvé seul dans l’ascenseur, tout emmitouflé de sons envoutants.
Je me suis assis à mon bureau, ai stoppé la musique, enlevé les écouteurs. La ventilation monotone de l’édifice me semblait aussitôt d’un ennui angoissant. J’ai remis mes écouteurs. Encore un moment peut-être, jusqu’à ce que les collègues arrivent.
Nous étions cependant vendredi et, le télétravail étant à la mode, peu de gens sont arrivés. J’ai quand même enlevé les petits écouteurs et me suis mis à travailler.
En fin de journée, je suis reparti en remettant les appareils. Cependant cette fois, je n’ai pas choisi la musique habituelle. J’ai mis du chant corse et des chants religieux d’une autre époque. C’était parfois dansant, finement joué, passionnément chanté. La musique est plus qu’une science ou un art. Elle est une déesse vêtue de multiples prières.
Mon coeur s’est réjoui. Il y a tant de belles choses autour de soi, tant de créations, tant de raffinement. Quel contraste, bien sûr, avec la guerre, les meurtres, les envies autres parasites de l’âme.
Pas étonnant que je veuille m’isoler tout en cherchant mes antennes tournées vers la sempiternelle réalité. J’accepte, embrasse les contrastes. Et je nourris ma vie avec les mystères de l’univers.