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Retrouver ses mots

7 mars 2012

Ai terminé la lecture du Gardien du feu pour me plonger aussitôt dans les Lettres à un jeune poète de Rilke. Poursuis en même temps, en parallèle, la relecture des Mailles sanguines. La comparaison des souffles d’écriture est inévitable même si les critiques, comme le suggère Rilke dans sa première lettre, sont superflues.

Toujours est-il que ces auteurs possédaient un bagage littéraire que je n’ai pas, ou que peu de contemporains usent. Les écrits d’aujourd’hui me semblent plus géométriques, fonctionnels, la passion s’agrippe à des matériaux inhabituels, impropres à l’envahissement. Le papier n’est plus cette friable pierre qui accepte la patine de la réécriture en laissant sur la table, des traces, des ratures, des feuilles qu’on hésite à jeter. Maintenant, le clavier est un ammoniaque puissant, les mots sont lavés, les surfaces ramenées à leur pixel zéro. À moins de conserver de trop nombreuses versions trop longues à ausculter, la perte est sans retour.

Les premières pages de mon roman m’apparaissent soudain bien froides, et pourtant efficaces. Je biffe encore des phrases, je jette à la poubelle virtuelle des adverbes, je joins électriquement des phrases comme en ce moment, avec la relecture de ce billet.

Je garde en tête les préceptes de Rilke qui, dans ma compréhension, se traduisent ainsi : si ton cœur te demande d’écrire, écoute ce qu’il a à dire, ne t’impose aucune limite de temps, ne te préoccupe pas des autres, ils ne te comprendront que si tu toi-même arrive à demeurer fidèle à ce que tu es. Et si, au final, ils ne t’entendent pas, qu’importe, les créateurs demeurent seuls et auront tout de même fait un voyage troublant. Les autres possèdent aussi leurs passions, leurs solitudes. Ils ne sont ni plus mauvais, ni mieux que toi. Leur aventure est différente. Enfin, si ton cœur te demande d’écrire, n’écris pas les grandes choses, cherche l’ombre, le minuscule, l’intangible, oublie les grands thèmes. Tu découvriras alors que la lumière éternelle enivrera chacun de tes instants et tu parviendras sur des sommets qu’il fallait découvrir, loin de ceux déjà maintes fois cartographiés.