La pauvre plante… J’étais fier de l’avoir sauvée. Avec de simples soins, ses maigres branches s’étaient de nouveau épanouies. Et puis, sans que je ne l’abandonne, elle perdit rapidement ses feuilles, comme essoufflée d’autant d’effort, si bien, qu’un jour, je l’ai abruptement taillée, presque par pitié.
Je la croyais mourir. Ses feuilles se ternissaient, séchaient plus vite que mon propre épiderme. Il faut dire que je n’ai pas remplacé sa terre depuis belle lurette. Mon voisin m’avait pourtant averti. Je me promettais chaque week-end venu que je le ferais ou, à tout le moins, j’irais chercher un quelconque engrais.
Bref, je l’ai abandonnée ? Un peu, oui. Elle me l’indiqua il y a deux mois, toutes feuilles recroquevillées dans la douleur de l’assèchement. Alors, comme un insensible qui se rend compte de sa maladresse, j’ai recommencé à l’arroser en lui promettant que ça irait mieux quand je changerai bientôt sa terre et peut-être même un nouveau pot.
Promesse d’ivrogne.
Mais voilà que, malgré tout, elle recommence à donner des fleurs, sentant soit sa mort, soit le printemps. Au fond, ces deux saisons sont probablement la même chose. J’ai commencé à jeter le marc de café autour d’elle. C’est peut-être ça, ou tout simplement que cet acte de générosité suffit à lui redonner confiance. Il faudra bien que je remplace son sol aussi…
J’ai soixante ans aujourd’hui, mon histoire, la vôtre, la leur, c’est à peu près aussi la même chose, de variables vibrations d’existence qui, tout dépendant de la terre où les racines, les narines, puisent leur nourriture, donnent des fruits, des idées, des violences ou des étoiles.
Combien de temps me reste-t-il à vivre ? Ai-je besoin de le savoir ? Mes parents m’ont appelé ce matin et m’ont couvert de leurs paroles d’amour, mon père m’appelant encore « son petit garçon ».
Nous nous sommes exclamés de la neige qui n’en finit plus de recouvrir leur maison, du voisin venu déneiger le toit, de l’autre qui a remonté les bacs à ordures parce que le sol était glissant. Ils sont heureux d’être entourés de voisins attentionnés.
Nous avons bien sûr parlé de vieillesse, maman dire ne pas croire que soixante ans ont déjà passé depuis qu’elle m’a mis au monde. Nous nous sommes quittés en nous embrassant par le biais de ces ondes téléphoniques qui ne requièrent plus de filage.
Vraiment, tout est ondes, fleurs et renouveau. Chaque seconde que nous vivons est un jour qu’on peut renouveler, réinventer sans cesse. À mon âge, comme on dit, on se résigne à cette tranquille, lancinante, mélancolique sagesse de l’automne.
Plus je vieillis, plus je me sens moine, oiseau, inutilement libre et conscient du bonheur de vivre. Je n’écris pas cela pour faire dans le sucré. Je n’ai pas le goût de m’obésifier avec de mielleuses maximes, mais je dirai ceci tout de même, avant de faire mon amen quotidien : Il nous faut porter haut, et en silence, le puissant flambeau de notre conscience et en faire ce qu’il faut pour participer de manière pleine et entière au grand œuvre de l’Univers.
Je m’y soumets. Je n’en ai pas le choix, et c’est très bien ainsi.