J’ai passé beaucoup de temps dans mon lit, il me semble, depuis un an ou deux. J’ai laissé Neptune m’enseigner les leçons de l’invisibilité, ou plutôt l’art d’écouter le grand Rien/Tout — on ne saura peut-être jamais comment nommer notre ignorance —. J’ai ensuite patiemment écouté Saturne me rappeler que j’étais à ce stade de l’existence ou ce qui se crée est un souvenir de ce qui l’a déjà été. C’est au tour, de Jupiter, qui veut que je gonfle mes voiles.
Ce lit était aussi le seul endroit confortable, puisque mon salon fut un long chantier abandonné. Maintenant que la poussière des grands astres s’estompe, je quitte volontiers les draps, me laisse rêver, debout en inventant des histoires que je garde pour moi-même.
Parfois, j’aimerais que ce lit soit le foyer d’une rencontre quotidienne, même si je mens à dire que ces draps ne connaissent que moi. Je vis les jours d’une amitié profonde et ce lit demeure le siège social de nos rencontres, nos rires et nos sueurs.
C’est une amitié complexe qui pourrait faire l’objet d’un roman. Je n’ai pas encore trouvé l’angle d’approche comme si le fait de vouloir la coucher sur le papier reviendrait à la soutirer de ces draps. J’ai atteint, comment dire, l’équilibre. J’y trouve mon compte, cela me ressemble et m’inquiète.
Le Bon Dieu, la grande Sagesse sont des oxymorons qui me figent.
C’est vivre un profond malaise/plaisir que d’être sur cette corde, sans doute la plus grande leçon qu’il me faut acquérir avant de l’oublier à jamais. Ce lit représente mon âme et bien que je récupère ces jours-ci quelques meubles confortables qui me feront le quitter, je sais qu’où que j’aille, ce sentiment ne me quittera point. Ce lit n’est donc, au final, qu’une représentation. Toutes mes rencontres, toutes mes amitiés se veulent ce dialogue texturé de draps protecteurs.
Il y a plusieurs manières d’être nu à l’autre. Il y a la pensée pure, les regards, les gestes, les filiations. Il y a aussi l’aveugle jouissance qui fait aimer tant de corps, qui fait rêver à tellement d’espoirs et de princes. Il y a ces intrigants personnages qui vous appellent, presque des sirènes, de leurs rivages virtuels, des promesses et des fantaisies. Qui vivra verra sûrement. Qui mourra n’en aura cure.
J’ai confiance qu’avant le jour final, j’aurai connu les marins que je devais rencontrer, qu’ils partageront mon âme et mes draps, en toute intensité, amour et amitié. Si tant peu que ce celui soit un échec, à quoi bon s’en plaindre, je rêverai déjà dans des draps singuliers.