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Tu le savais, mon frère?

25 août 2013

Je ne regrette rien, dit la célèbre chanson. Je ne sais si cela s’applique à moi, car pour regretter, il faut se souvenir, il faut pouvoir sentir les marques encore rouges d’heures précises. Je ne me souviens de rien, à peine est-ce là un littéraire mensonge.

En réinventant le site Web de la famille (http://familleverville.org), j’ai revu quelques-uns de mes gestes passés sans pour autant vraiment saisir qu’il s’agissait de mon âme. Ces photos, pourtant, je les vues souvent. Ce sont elles qui ont forgé l’idée que l’on se fait de son enfance, de son bonheur aussi.

Je ne retrouve rien de tout cela en ce moment. Ma vie n’est pas là. Elle flotte dans un présent insaisissable, elle s’étiole et sombre dans le goulot d’un sablier. Je ne peux regretter le présent, car il est toujours là. Je ne peux m’en souvenir, puisqu’il est vivant, fluctuant et mystérieux. Il échappe à tout entendement, devient rapidement un passé que je peux cataloguer, ranger par-dessus les autres images alors que l’instant présent, le now des Anglais, happe aussitôt le possible du futur avec un grand point d’exclamation.

Je regrette pourtant de perdre ce temps, cette eau qui me file entre les doigts avant que je n’aie eu le réflexe de la porter à ma bouche et de la boire comme une liqueur d’orgasme.

J’ai le goût de prier, de m’agenouiller, de m’étirer tels les chats désœuvrés, tels les lions rassasiés. Dormir innocemment dans le présent. J’ai le goût de vivre. S’agit-il d’un vœu pieux ? Je pense trop ? Je ne suis pas suffisamment animal ?

Car mon esprit se nourrit d’insomnie, furieux, avide de bâtir encore et encore, anxieux de tout cataloguer, parce qu’il est Cassandre, et que personne, pas même moi, ne l’écoute vraiment. Il y a des gens pour vivre sans penser, surtout les malheureux qui luttent pour calmer leur faim ou leur douleur. Je ne sais pas de quoi je me plains.

J’entends ce cri tout de même. Je suis là pour dire et, demain, malgré que mes écrits restent, je me cognerai la tête sur d’autres saveurs.

Je me souviens, dit la Province. De quoi ? je me demande. Je ne regrette toujours rien, redit la chanson. Peu importe, je crois, puisque de toute manière, nos souvenirs, nos photos, le mal qu’on nous a fait, que l’on a causé, le bien qu’on a mangé, qu’on a donné, cela est pour la mémoire des autres. Nous, nous serons morts, tu le savais, mon frère ?