Calin tourna son regard vers moi. J’avais pourtant fait attention pour ne pas ouvrir bruyamment la porte. Mais rien n’échappe à un chat, même à dix mètres de lui.
Il me reconnut certes, fixa son regard sur moi, ayant l’air de dire « vas-y, prends-la, ta photo, j’ai autre chose à faire. ». Je ne me suis fait pas prier, implorant tout de même la déesse de la photo Apple que je puisse réussir mon coup.
Câlin détourna aussitôt son attention lorsque j’abaissai mon appareil. Quelque chose venait d’attirer sa curiosité. Il s’avança sans trop de misère pour s’immobiliser encore dans l’attente d’un autre indice. Un oiseau passa au-dessus de sa tête. Il pivota acrobatiquement sa tête pour le suivre sans pour autant perdre son équilibre, me jeta de nouveau un œil pour finalement poursuivre son chemin sur l’étroit sentier de la clôture.
J’ai soupiré, moi qui ai toujours eu un peu le vertige. On dit de ceux qui s’étourdissent dans les hauteurs qu’ils manquent de confiance en eux. On me perçoit pourtant comme quelqu’un d’assuré. Cela dépend de là où l’on décide de planter ses certitudes, je présume.
Je me souviens que mon père avait aussi le vertige. Lorsqu’on bâtit la maison durant mon adolescence, je l’ai vu souvent hésiter avant de monter dans une échelle. Si je me souviens bien aussi encore, c’est maman qui était allée peindre les corniches du toit. Mais tout de même. Papa y allait, dans les hauteurs.
Mon vertige commença plus tard pour moi. J’ai en mémoire mon séjour à Lisbonne où j’avais pris l’ascenseur pour atteindre le sommet d’un monument afin d’observer le fleuve Tage. Ou cette fois à Barcelone, en haut de la Sagrada Familia à moitié construite. Un sentiment proche de ce que peut être vivre à proximité de la mort.
Je ne suis pas casanier pour rien. Je ne suis pas acrobate et le peu de hauteur que j’ai pris dans ma vie ressemble à une contrée vallonnée de monticules arrondis et paisibles.
Maintenant, tous les soirs ou presque, j’essaie de me mettre sur une jambe, puis une autre, histoire de maintenir un tant soit peu de solidité dans mon squelette. Je suis loin d’avoir l’agilité des chats. Mais j’insiste. C’est un peu comme cela que l’on tente de gruger quelques années de plus.
C’est plus facile sur la jambe droite. Il faut dire que la jambe gauche ne s’est jamais vraiment remise de sa cassure d’il y a maintenant presque 30 ans. C’est si loin tout cela. J’étais tombé du haut de ma personne en glissant sur de la glace noire, un soir de veille de Noël.
Pour en revenir à Calin le chat noir, doux comme une panthère qui s’ignore, il venait de disparaître dans la ruelle au grand dam de son maître, mon voisin du rez-de-chaussée, à qui je venais d’envoyer la photo.
Ce dernier sortit pour appeler son chat qui fit semblant, évidemment, de ne pas l’entendre.
Je rentrai chez moi, du haut de ma galerie pas très haute et rassurante. Avant de fermer la porte, je me tournai vers les arbres. Des écureuils se poursuivaient en voltigeant d’une branche à l’autre, tels Tarzan ou Spiderman.