La neige est tombée trop tôt, à peine novembre entamé. Alors que les gens n'avaient pas encore rangé les vélos ni sorti les pelles ni changé les pneus aux voitures, la ville était devenue soudainement blanche comme aux suites d’une tempête printanière, les immeubles fardés d’un maquillage appliqué à la hâte, des arbres échevelés après avoir passé une mauvaise nuit.
Rien n’était donc prêt. L’automne n’avait pas terminé de nettoyer les branches de leurs feuilles, car bien des espèces végétales possèdent cet orgueil du vivant, tardant à se défaire de ce qui ne sert presque plus, leurs leurs larges paumes colorées, tendues vers le ciel qui, soudain, sont devenues autant de réceptacles pour cette masse humide.
Les érables, les chênes, les bouleaux: tous ont ployé en suppliques silencieuses.
Certains n'ont pas tenu. On entendit dans la nuit nombre de craquements sourds qui précèdent les ruptures. Au matin, des branches gisaient sur les trottoirs, barrant les rues, écrasant des voitures garées, éraflant des toitures. Les voisins sont sortis contempler les dégâts, hochant la tête devant leurs arbustes affaissés, leurs haies brisées.
Dans la cour arrière, le grand cerisier floral était couché sur le sol comme un géant terrassé. Ses branches touchaient la terre, formant un dôme étrange sous lequel on aurait pu ramper. Je l'ai observé avec inquiétude, convaincu qu'il ne s'en remettrait pas.
Puis le soleil est revenu. Un soleil d'automne qui n'avait pas encore abdiqué ses droits, qui réchauffait encore avec conviction. La neige a commencé à fondre, d'abord goutte à goutte, puis en ruisseaux. Et le cerisier, lentement, s'est relevé. Branche par branche, il a repris sa posture. Au bout de deux jours, il était debout, intact, toutes ses branches se balançant mollement comme autant de doigts d’honneur adressés à la mauvaise tempête.
J’ai pensé à mon propre corps qui vieillit, à ces muscles qui jadis soulevaient sans effort et qui aujourd'hui hésitent même si, comme ce cerisier, est capable de fléchir et de s’adapter. Que dire de mes os qui se souviennent de chaque chute, de chaque impact.
À quand ma propre bordée de neige? À quel moment le poids deviendra-t-il trop lourd, la courbure trop profonde?
Plusieurs d’entre nous, mais aussi chez les animaux, les plantes, pourraient témoigner de cette érosion des capacités. Certains se relèvent de ces tempêtes-là. Ils plient, touchent presque terre, puis retrouvent leur aplomb quand les conditions s'adoucissent. D'autres cassent – une branche ici, une articulation là – et ne retrouvent jamais tout à fait leur forme première.
Mais au final, qu'on soit prêt ou non, qu'on ait encore nos feuilles ou qu'on les ait perdues, l'hiver arrive. Il arrive toujours.