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Apprendre à déposer son verre

2 février 2017

J’ai assisté ce midi à une conférence au bureau sur la gestion du stress. Nous étions un peu plus d’une vingtaine dans la salle principale de la compagnie, tandis que le système de vidéoconférence permettait à trois de nos collègues de Gatineau d’assister à la même présentation.

Notre sphère d’activité, l’informatique, est très dynamique, se voulant à la fine pointe de la technologie. Elle apporte aussi dans son sillage son lot de défis et de stress. Il n’était pas étonnant donc de voir autant de gens assister à cet atelier.

La présentatrice, une psychologue d’expérience, a commencé par tendre un verre d’eau au bout de son bras en nous demandant ce que cela pouvait représenter et en nous prévenant d’emblée que ce n’était pas là une question de verre à moitié vide ou à moitié plein.

Comme personne ne répondait, elle ajouta : si je tiens ce verre pendant une minute de plus, que va-t-il se passer ?

— Vous allez commencer à fatiguer, de répondre un collègue.

— Et si je le tiens davantage ?

Devant nos mines, elle vit que nous avions deviné. Elle continua :

— J’aurai une crampe, sûrement, et plus je tenterai de conserver mon bras à l’horizontale, plus j’aurai de la difficulté jusqu’au moment où j’échapperai le verre. Eh bien, c’est ça, le stress. Nous vivons tous, et peut-être encore vous plus, des situations stressantes, car le monde est de plus en plus sollicitant. Dans ma pratique privée, je note depuis trois ans une montée d’anxiété chez une nouvelle clientèle, celle des vingt-cinq et moins… Vous résistez comme vous le pouvez, mais à un moment donné, vous vous sentez inconfortables et vient le moment où vous devez poser le verre avant de l’échapper.

Elle continua sa démonstration avec la reconnaissance des facteurs stressants et les moyens d’arriver à contrôler son stress afin d’éviter la catastrophe qui nous est familière pour, soit l’avoir vécu nous-mêmes, soit en avoir été témoin chez les autres : colères, fatigue nerveuse, dépression, burnout.

Je n’entrerai pas plus dans ces détails car il est facile de trouver tout cela sur Internet. Cette psychologue nous a d’ailleurs fait la remarque qu’il ne s’agissait pas juste de savoir ce qu’est le stress, de pouvoir l’identifier et de connaître les moyens de le combattre, mais qu’il fallait avant tout réaliser le combat. Ce qui n’est peut-être pas aussi facile à faire qu’à dire.

J’ai beaucoup aimé cette opportunité de réfléchir là-dessus et je crois que la presque trentaine de participants à cette conférence (sur 100 employés) venait également chercher là quelques pistes. Ce ne sont pas des gens malheureux et notre compagnie est sans contredit un bel exemplaire d’univers positif de travail. L’un de mes collègues nous a spontanément avoué qu’il vivait une peine d’amour (la blessure date de quelques jours). Je l’ai félicité, ensuite en privé, pour cette humilité, premier stade pour s’approprier de nouveau son monde, son univers.

Si le stress est une énergie qui s’avère positive à bien des égards — n’est-il pas le moteur de la création et du progrès ? — il demeure un acide, un oxygène dont il ne faut pas abuser. Cela n’est pas facile non plus de faire face au monde violent d’aujourd’hui, mais il faut se dire aussi que ce monde est sans doute plus doux que ce qu’auront connu nos ancêtres et nos plus vieux ancêtres encore, tout en se gardant une pensée pour les gens qui luttent quotidiennement, en ce monde, dans des pays aux mœurs brutales.

On pourrait parler longtemps du stress, des livres entiers, des salles d’attente pleines à craquer occupent autant de médecins, de psychiatres, de psychologues, d’avocats, de policiers et de juristes.

De mon côté, je suis retourné à mon bureau, à mon travail, mais une heure après, j’ai ressenti un malaise. Les sources constantes et actuelles de stress dans ma belle et riche vie privée se sont mises à jouer aux fontaines intarissables et bruyantes. J’ai envoyé rapidement une note que j’allais me reposer et suis parti en douce. Je suis sorti dans l’air frais de ce début d’après-midi. J’ai marché jusqu’à chez moi en faisant le plein de cette sérotonine naturelle que procure la marche.

J’avais besoin de déposer mon verre. Arrivé à la maison, j’ai pris des décisions, entrepris des démarches pour me défaire de quelques chaînes. Puis je me suis mis à chanter des sis bémols, ensuite me suis attelé à dompter un air de la Traviata en le massacrant le plus joliment du monde. Ça te réveille un gosier, ça.

Mon voisin et ami, Yves, qui ne travaille pas depuis un an et demi, n’était pas chez lui. Il est revenu plus tard, me disant qu’il avait eu besoin de prendre l’air. Je m’inquiète pour ce bel homme, qui a mon âge, et dont personne ne semble vouloir — c’est dur de se chercher du travail à 56 ans — même si on a, comme lui, tous les talents d’un bon gestionnaire expérimenté. Je suis encore chanceux de pouvoir travailler. Je lui ai dit que j’étais là pour lui et que notre route ensemble nous rendait plus forts.

Lui et moi prenons religieusement nos billets de loterie. On ne croit pas au miracle, mais on aime y croire. On garde le cap, on espère des jours plus prometteurs. Nos mondes communs s’interpellent. Il y a mouvance en la demeure. Ne pas être seul est déjà une promesse d’un meilleur avenir même si, parfois, on aurait envie de jeter ce verre d’eau pour le remplir d’un breuvage plus euphorisant. Cela, bien sûr, ne serait qu’un leurre.

Demain, je retourne travailler. La vie continue. Cette pause et mes décisions me font du bien. Nous n’emporterons pas, dans notre tombe, ni richesse ni stress. Autant reconnaître la seule réelle valeur que nous possédons — et ce n’est pas une promesse divine —, celle d’être en vie. Je ne sais ce qu’il y a après elle, mais j’emporterai le petit bonheur que j’aurai construit dans ce paradis du néant.