Chaque matin, en ouvrant les yeux, je tends les mains. L’aurore qui se dessine en moi cherche à ouvrir les bras. Pendant que les rêves déjà oubliés s’effilochent dans le purgatoire magique de l’inconscient, je dois poser pied à terre, revenir à cette vie.
Je prie comme le font les païens. Je joins les mains et y plonge mon visage encore endormi. Je m’étire comme si je devais happer au passage la potion aérienne qui me dessoulera. Vivre ses jours demande parfois du courage, les traverser sans poésie une certaine effronterie. Comment atteindre cette lumière qui fourmille sous nos doigts, comment se défaire, nous les bonnes bêtes de somme, de nos œillères qui nous forcent à ne regarder que l’horizon devant nous ? Comment gambader dans le mètre cube de notre petite âme ?
J’essaie de me promettre, à chacun de mes réveils, que la journée m’apprendra un petit quelque chose, je m’efforce de rêver, non pas naïvement comme l’on bave devant un billet de loterie, mais simplement de rêver. Là un jour ensoleillé, un soleil rigoureusement présent qui m’invite à pourchasser les ombres, là la danse d’un écureuil qui saute d’un balcon à une branche et qui m’oblige à lever la tête afin d’observer son jeu, aussi là, dans ma tête, quand je me perds en conjecture afin d’y trouver des idées nouvelles, encore là, dans tous mes désirs d’homme mûr devant d’une jeunesse fainéante et belle qui ne me regarde évidemment pas, me laissant pantois et nostalgique de mes envies, mes tourments d’homme-mur qui écoute trop sa sagesse mortelle, ou parfois pas assez, ou enfin encore ici, dans cette promenade écrite il y a cinq ans que je m’amuse à palimpsétiser (tout en inventant des verbes), à la réécrire de fond en comble, car le passé, c’est aussi le présent et l’avenir et si je peux bien tout mélanger et faire de longues phrases, peut-être atteindrai-je un nirvana proustien.
Chaque matin, je me veux vivant même si je n’y parviens pas toujours. Il est trop facile de vivre en laissant passer les heures sans se compromettre. Et chaque soir, lorsque mes yeux n’en peuvent plus et qu’une horde de sirènes accourent vers une urgence, qu’un avion tardif pourfend la nuit pour nous empêcher de rêver, j’aspire au sommeil, voulant retourner dans l’antre d’une ombre plus singulière, dansant dans une caverne où les chauves-souris ont autant d’imagination que Salvator Dali.
Il faut bien dormir pour pouvoir se réveiller. Il faut bien faire silence pour retrouver la parole. Je me souhaite bonne nuit, je vous souhaite bonne journée, et vice versa, que vos heures soient consciemment rêvées, qu’elles puissent vous apporter le sourire qui éternisera tant vos nuits que vos journées.