Le vide de février et la plongée dans l’ordinaire d’une vie passagère, j’y reviens; je n’avais peut-être jamais quitté ce présent immobile après tout. Après les émotions du lancement, je rêve avec mes tripes, nourri des bonnes paroles que je reçois chaque jour, au fur et à mesure que les proches terminent la lecture. On semble aimer, on m’envoie des fleurs et elles ne sont pas feintes. Sur ce plan, les politesses bienveillantes sont décelables, qu’on ne s’y méprenne pas. Un auteur angoissé sait lire entre les paroles. Je ne veux pas qu’on fasse semblant. Mieux vaut se taire que tenter de me faire plaisir. Pour le moment, ça va donc. Le livre passe.
Voilà, oui, je rêve. Un livre, sorti en même temps que moi, chez le même éditeur, a été remarqué par un journal en vue. Qu’en sera-t-il du mien? L’a-t-on déjà écarté? Il est encore trop tôt pour le dire. Il me faut être patient (comme j’ai appris à l’être depuis trois ans). Fragile, le bonhomme, la raison bien froide, le contrôle de soi bien en vue, les respirations très profondes, ayant déjà annoncé que ce serait de l’extra si une critique survenait, le deuil est déjà entrepris, la rivière déjà traversée. Si, dans quelques mois, rien ne se dit, on ne me verra pas sourciller. Ça, comme pour l’amour, ça se gère dans le secret de mes entrailles.
Mais...
Mais je me cogne la tête au mur du ciel.
Le silence est revenu telle une caverne gonflée d’incertitudes. Je me surprends à lancer les yeux vers l’horizon, à demander un signe, une petite accolade. On a beau vouloir se détacher des mondanités et des flatteries, la gloire, c’est aussi comme l’amour, on en salive de désir.
Mais qu’en est-il justement de l’amour? Pfff. Il est là, peut-être pas comme je le voudrais, peut-être comme il se doit. D’autres souffrent plus que moi. Alors, faut arrêter de geindre et reprendre une profonde et bruyante respiration, expulser doucement l’air, entendre son corps entretenir son existence. Tout cela n’est que promesse, gloire, amour, paix. Tout cela n’est que du bonheur, des petites perles d’air jalonnant les précieuses heures. N’est que? Puisque j’écris tout haut ce que je pense tout aussi haut, je m’enlise.
C’est le paradoxe. Le verre moitié plein, moitié mort. La vie moitié terminée, moitié à vivre. Toujours cette prière à comprendre et à semer. Mon jardin sommeille, j’attends le printemps. Encore une fois. C’est ça, être en vie. Être envieux.