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Avec un stylo-plume

5 janvier 2023

J’ai longtemps écrit à la plume, ayant probablement commencé durant à la fin du secondaire. Je me rappelle avoir commandé à l’époque du papier à lettre avec entête. J’avais créé ma devise, aidé par un professeur d’anglais, je crois, qui s’y connaissait en latin. Semper ipse ero. Je serai toujours moi-même. Ou le même? Cela ne signifie pas la même chose. À l’époque, je n’aurais sans doute pas pu comprendre la différence. Aujourd’hui, j’y réfléchis encore. J’étais transporté par une écriture dansante qui prenait autant de chemins que l’esprit pouvait cartographier.

On dit que se discipliner à bien écrire peut vous guérir ou protéger de toutes les maladies. C’est sans doute ce que j’ai voulu en jetant sur papier les premiers jets de mes cinq premiers textes publiés. Après coup, je les transposais à l’ordinateur. Il me faudrait parler de six textes, car le tout premier, Le Triomphe des Eaux, fut une longue litanie d’épanchements à la suite d’une courte mais incisive première histoire d’horreur d’amour.

Quand on est jeune par le cœur, tout est magnifiquement un drame. De ce texte, il n’en est resté que quelques lignes dans La Vie dure.

Écrire à la main peut se comparer à parcourir précautionneusement un labyrinthe afin d’en trouver la sortie. Les mots prennent du temps à se former, ressemblent à autant d’hiéroglyphes propulsés par l’inconsciente motivation de la créativité. Et puis, il y a cette fatigue au poignet qui s’installe, vous forçant à ralentir ou mettre en pause la cadence.

Comme je suis gaucher, ma main absorbe aussi parfois l’encre qui n’a pas eu le temps de sécher. Je me demande si les gauchers arabophones ne sont pas plus propres… quoique la main gauche, chez eux, il me semble… du moins chez les musulmans. Je mélange probablement tout, confiné dans des biais que l’écriture spontanée ne prévient pas.

À l’époque universitaire, j’écrivais de longues lettres à un ami, de longs épanchements enflammés où mon désir pour lui se perdait invariablement dans des vagues vouées à se fracasser contre une falaise impossible à escalader.

Je ne me relisais pas car, de toute manière, je ne pouvais rien biffer, à moins de recommencer une nouvelle page.

J’ai toujours été plus spontané que cela et cela. L’ordinateur me permet cette patience habituellement, mais pas vraiment pour les textes de ces Promenades.

Il me faut maintenant transposer, transformer, pétrir ou labourer ce texte sous sa forme électronique même s’il ne reste, ne restera plus rien de tous ces textes lancés à mon ami, et toutes ces lettres que j’écrivais à une cousine, tous ces romans, et même ces mots accrochés ici un temps à l’éternel de l’Internet.

Je ne suis et ne serai que moi-même. Si mon âme me survit, je ne peux savoir où elle échouera. Si elle n’existe que pour ce moment présent, c’est qu’elle est un rêve insondable aussi fragile que le papier sur lequel elle s’épanche.