Le temps ne s’arrête pas. Il est vide en ce moment et à la fois plein. Vide parce qu’il ne semble pas indiquer la direction de ma vie, plein parce que, évidemment, sans que je fasse d’effort, sans que je puisse, de toute manière, lutter contre ce fait, le temps file entre mes doigts.
Ce n’est pas nouveau. Tout le monde sait cela.
L’été est bon, gorgé de soleil, parfois un peu trop chaud, mais il sait si bien désaltérer par ses pluies sporadiques. Les araignées sont vaillantes à décorer de leur toile les fenêtres entrouvertes.
Je suis vide et plein, moi aussi, comme ce temps-rivière, ce temps-vent, ce temps-souffle. Vide puisque le cerveau cherche des réponses, plein parce que l’avenir est plein de promesses. Vide encore, puisque j’ai peu de moyens, plein tout de même parce que, au final, cela n’a pas d’importance.
Je vide mon bureau, ai vendu mon ordinateur, donné, avec un gros pincement au cœur, mon écran 27. Il me reste encore du matériel dont il faudrait me départir. Quelques annonces sur Kijiji feront l’affaire. Je donnerai ceci, je donnerai cela. Je viderai la pièce pour enfin pouvoir la terminer, installer quand j’aurai des sous une porte au placard... J’aimerais aussi vider quelque peu mon site Web, car je ne fais pas vraiment de photos, je ne suis plus travailleur autonome. Il vaudrait mieux effacer l’ardoise, effacer ce mandala de sable.
Je vide également mes horaires, quelque peu. J’ai pris la décision de ne pas retourner chanter chez Ganymède cette saison. J’ai besoin de vider ceci pour remplir ma voix autrement. Mon professeur de chant me veut ténor, je vide donc ma voix de baryton pour remplir, découvrir celle, plus haute, du ténor. « T’as 55 ans, mais tu dois maintenant chanter comme un jeune premier, car c’est ça être ténor » de renchérir Vincent. Eh bien soit ! Jouons les mononcles-jeunes-premiers.
Je n’ai rien à perdre, rien à vider, à remplir, tout se transvase dans le plus pur style des alambics.
Je devrais bientôt recevoir mon manuscrit révisé. Le roman paraîtra le 30 octobre si tout va bien. Ma carte du ciel est d’accord avec tout ça et c’est tant mieux. Je suis heureux tout de même, même si le sommeil est souvent difficile.
Mon médecin m’a appelé. Mon taux de sucre s’élève. Mon corps se remplit. Y’aura toujours des choses à vider. Qu’importe, c’est ainsi que le temps nourrit son monde.
Et puis, j’ai rencontré mes parents, à l’anniversaire de Dominique, qui a eu 50 ans. Il n’en reste qu’une dans la famille sous cette barre. J’ai regretté de ne pouvoir parler davantage à ma mère et à mon père. Il y avait trop de monde. Je n’ai pas de voiture, je n’ai pas trop de ressources, alors que le temps, pour eux, se vide aussi vite que le mien. Je les ai trouvés certes vifs, alertes, mais quand même un peu plus vieux. Ma tendresse envers eux n’en fait que doubler. Ils me reprochent sans doute, par leur silence, le fait que je ne les visite pas davantage. Quand on veut, on peut... mais il est vrai que, lorsqu’on ne peut pas, rien ne sert de trop vouloir. Chaque chose aura sa saison.
Je me demande parfois si je n’ai pas inconsciemment peur de ce temps qui passe, mais qui passe vraiment trop vite. J’ai souvent le sentiment d’être un imposteur avec mes beaux mots. À tout le moins, j’apprends à vider ma cervelle de cet orgueil qui ne sert pas à grand-chose. Je vide, mais en vain, je le sais, car cela se remplit heureusement tout de suite, telle une terre assoiffée buvant l’averse du temps.