Les Mailles sanguines ne verra pas le jour. Du moins, pas sous ce titre. Cette semaine, mon éditrice m’a proposé un autre titre : Falaise. Ma première réaction fut de dire non. Il est facile de comprendre pourquoi. Voilà plus de dix ans que je porte ce titre. Sans en faire une maladie, j’ai tout de même objectivé ce texte. Les Mailles sanguines, ça fait Verville, comme me le disait un ami. Mon éditrice me proposait également 3, rue de la Falaise, adresse où se déroule le roman.
J’ai demandé un temps de réflexion, même s’il fallait faire vite, car la liste des publications de l’automne allait être annoncée. J’étais ennuyé, surtout de devoir me dépêcher soudain à réfléchir pour quelque chose qui m’apparaissait acquise, d’autant que le contrat d’édition avait été signé avec ce nom. Mes proches amis ont sourcillé aussi devant le nom. Ils aimaient bien le premier titre. J’avais tout de même proposé Sans demeure, il y a quelque temps. J’étais donc prêt à changer de titre. Toujours est-il que, le lendemain, je fais part à ma charmante éditrice de mes préoccupations. Je ne voyais surtout pas trop le rapport. Falaise ? De plus, il existait certains titres similaires: La Falaise (un livre jeunesse), Falaises (une BD et un roman)... J’étais confus. Un titre n’est certes pas la fin du monde, mais encore? C’est mon bébé après tout ? Les parents ne sont-ils pas ceux qui, d’habitude, nomment leur progéniture ? D’un autre côté, qu’est-ce que cela change, vraiment? J’ai depuis longtemps appris qu’un texte, une fois sorti de l’ordinateur et expédié aux regards des autres ne vous appartient déjà plus. Mon éditrice me répondit ceci :
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Bonjour Guy, Je comprends ton hésitation. Cela dit, ici, Falaise plaît beaucoup ici (évidemment, auprès de gens qui n’ont pas lu le texte, mais qui ont un sens assez aiguisé de l’édition, tout de même). Sur une couverture, c’est court, énigmatique et vendeur. Pour la BD et le jeunesse, je ne m’en ferais pas trop avec ça. Il me semble que l’adresse était une bonne piste aussi, mais la forme est un peu convenue… Pour moi, la falaise, c’est ce qui paraît insurmontable. C’est l’endroit d’où on contemple ce qui est loin (l’enfance), d’où on n’arrive pas à bien voir (l’aveuglement de la colère). C’est le nom de la rue, évidemment. C’est aussi ce père qui se dresse, imperturbable, même mort, pour contrer les désirs et les ambitions de ses enfants. C’est un cœur de pierre fait paysage. Les mailles sanguines*, c’est signifiant, certes, mais un peu forcé: ça ne se prononce pas si bien, et ça semble être un détournement d’autres locutions éculées comme “tissé serré” et “les liens du sang”. C’est vrai qu’il a été difficile de trouver une autre piste intéressante, mais celle-ci, pour une fois, me plaît beaucoup. Merci, d’ailleurs, de ton ouverture. Est-ce que j’ai réussi à te convaincre ? J’attends de tes nouvelles.*
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Eh bien oui, elle m’a convaincu. Je lui ai envoyé tout de suite mon accord par un simple: OK, va !. Cela l’a surpris, m’a félicité encore une fois de mon ouverture. Voilà presque une semaine que ce roman porte ce nom. Ça me va maintenant, surtout que l’équipe éditoriale semble emballée de pouvoir utiliser un tel titre. Vendez maintenant ! Faites de moi un homme célèbre ou riche (les deux peut-être ?). Si le regard des autres, parfois et souvent, peut tuer et castrer, il permet également d’aller plus loin, d’éclairer différemment nos ombres. C’est ce que je veux.
Longue vie à Falaise.